«Accepter le soin c'est prendre un risque, celui de se reconnaître malade... D'être faible », explique le psychanalyste Philippe Dayan (Frédéric Pierrot) à sa jeune patiente Lydia (Suzanne Lindon), atteinte d'un cancer du sein dans la deuxième saison de la série En thérapie (actuellement sur Arte). Cette phrase résume bien l'attitude des lecteurs de développement personnel en 2022. Comme s'ils avaient saisi le message du Dr Dayan, ils acceptent de se soigner et s'attaquent à leurs problématiques intimes en s'appuyant sur des livres pour aller mieux. Ceux qui ont déjà fait leurs preuves en librairie ou abordent des sujets jusqu'ici tabou semblent séduire ce lectorat fêlé par la crise sanitaire.
Rebonds du fonds
En progression de 18 % entre mai 2021 et avril 2022, le rayon développement personnel est notamment tiré par les titres du fonds. Le podium du classement Loisirs/Pratique 2022 Livres Hebo/GFK est occupé en exclusivité par des livres du secteur. « Le fonds se vend de mieux en mieux, surtout en poche ! », confirment d'une seule voix Élise Boulay, responsable éditoriale non-fiction de Pocket, et Dorothée de Rothschild, directrice non-fiction de J'ai Lu. Des indétrônables comme Les quatre accords toltèques de Don Miguel Ruiz (Jouvence) ou Les cinq blessures qui empêchent d'être soi-même de Lise Bourbeau (Pocket) côtoient des ouvrages qui jouissent d'une nouvelle popularité. « Nous remarquons l'arrivée inexpliquée de titres du fonds dans les meilleures ventes », fait savoir Dorothée de Rothschild. Elle cite Ces femmes qui aiment trop de Robin Norwood sur les relations toxiques et les pervers narcissiques, sujet du moment. Initialement paru en 2003, il a vu ses ventes bondir en octobre pour atteindre un score total de 17 000 exemplaires fin avril selon GFK. Même constat chez Pocket où Élise Boulay surveille la courbe ascendante de Foutez-vous la paix de Fabrice Midal (2017) : environ 1 000 exemplaires vendus par semaine. Chez Guy Trédaniel, c'est Avoir le courage de ne pas être aimé d'Ichiro Kishimi, paru en 2018, qui a créé la surprise en fin d'année. Tandis que Leduc pointe Ces femmes qui pensent trop (2018) sur les femmes à haut potentiel. « La parole se libère sur certains sujets et ces auteurs précurseurs sont aujourd'hui d'actualité », analyse Sandrine Navarro, responsable ésotérisme et développement personnel de Leduc.
« Nous suivons la même évolution que les pays anglo-saxons, abonde dans ce sens Jérôme Oliveira, directeur éditorial de la collection " Aventure secrète " chez J'ai Lu. Après des années marquées par des tendances venues de l'étranger, les lecteurs se tournent désormais vers des livres essentiels qui sont à la base du développement personnel, des livres aux valeurs refuges qui abordent les sujets avec sérieux et profondeur. » Propos corroborés par l'ensemble des éditeurs interrogés qui vont chacun de leur pas pour signaler des meilleures ventes toujours meilleures telles L'art subtil de s'en foutre de Mark Manson (2017) chez Eyrolles ou Influence et manipulations de Robert Cialdini (1990) que First a ressorti l'an dernier en grand format dans une édition augmentée.
Dans ce contexte, pas surprenant que le conférencier allemand Eckhart Tolle, chantre du rayon avec Le pouvoir du moment présent, ait réussi à dépasser en mai la barre des 70 000 exemplaires avec sa nouveauté de janvier Le chemin vers l'unité (J'ai Lu), paru en 2009 chez l'éditeur québécois Ariane sous le titre Unité avec toute vie. De son côté, Flammarion se félicite de l'arrivée au catalogue d'un autre best du développement personnel : Serge Marquis. L'auteur d'On est foutu, on pense trop rejoint en octobre le catalogue de sa filiale poche, J'ai Lu, avec JE : connais-toi toi-même : comment fait-on cela ?
Le phénomène Calestrémé
Mais intégrer le cercle prestigieux des best-sellers français qu'on ne présente plus, comme Christophe André, Matthieu Ricard ou Fabrice Midal, reste complexe dans ce marché de long-sellers. La dernière à avoir réussi cet exploit est la journaliste Natacha Calestrémé. L'autrice d'Albin Michel a battu tous les scores avec La clé de votre énergie et Trouver ma place, près de 500 000 exemplaires vendus depuis 2020. « Les gens sentent sa sincérité. Ils sont touchés car il y a derrière une expérience absolument profonde », observait récemment Fabrice Midal dans L'Obs. La « voix » de Natacha Calestrémé, son charisme et ses protocoles, tirés de ses enseignements auprès de chamanes et guérisseurs, ont interpellé ces personnes qui manquent de repères depuis la crise sanitaire. Les éditeurs recherchent ainsi ces auteurs susceptibles de se transformer en lame de fonds. Afin de faire asseoir leur légitimité, certains font appel aux stars du secteur dans le but d'obtenir une préface. C'est le cas des Éditions Jouvence avec son autrice Catherine Barry qui, à l'image de Natacha Calestrémé, distille des conseils pour mieux se connaître et se libérer des fantômes du passé. Son livre, Transformation a été préfacé par Fabrice Midal. Chez Leduc, c'est Susan Cain et son Bonheur d'être triste qui tirent parti du regard bienveillant du psychiatre Christophe André. Enfin, Eyrolles a acheté les droits du Code des émotions : comment libérer ses émotions bloquées pour transformer sa vie de Bradley Nelson, appuyé en préambule par la figure internationale Tony Robbins (Pouvoir illimité, Comment progresser à pas de géants...).
En phase avec l'essor de l'ésotérisme en librairie, le développement personnel accueille une fois de plus des approches qui jonglent entre psychologie et spiritualité. Chez Guy Trédaniel, la directrice éditoriale Florence Lécuyer défend Au cœur de la nuit noire de l'âme de Marie Lise Labonté (25 août), une psychothérapeute québécoise connue pour ses méthodes d'auto-guérison. Quand Émilie Franc chez Larousse se penche sur le soin de la peau intérieure comme extérieure avec La beauté énergétique de Maya Alleaume. Joanne Mirailles, directrice éditoriale chez Eyrolles, mise, elle, sur des parcours de résilience avec Pauline Wald (Marcher vers l'essentiel : voyage intérieur sur le chemin de Compostelle) et Romain Dian (Humain : du monde de la nuit à l'Amazonie).
Toujours plus loin
Après deux ans d'hospitalisations et confinements, il est de temps d'aborder des sujets graves et le public semble prêt là aussi à s'y confronter. Aux Arènes et l'Iconoclaste, l'éditrice Catherine Meyer, relève l'expérience de Frank Ostaseski dans Les cinq invitations : ce que la mort nous apprend pour vivre sainement. Fondateur du Zen Hospice à San Francisco, il a accompagné des milliers de personnes à la fin de leur vie. « On n'a jamais été aussi près de la mort que depuis l'irruption du Covid, explique l'éditrice. Le soin, pris au sens anglo-saxon "care", se réfère au partage et l'interdépendance. » Dans la même veine, l'éditrice cite le prochain livre à paraître en octobre chez L'Iconoclaste et signé du collectif Christophe André, Matthieu Ricard et Steven Laureys : Quand la mort éclaire la vie. Même esprit chez Jouvence où le chamane superstar Don Miguel Ruiz publiera en fin d'année Traverser l'adversité. « Il y a des livres qu'on n'aurait pas pu sortir avant » , admet Aline Sibony, responsable éditoriale du pôle vivre mieux de First, en référence à L'or de nos cicatrices d'Anya Tsai, un ouvrage sur comment se reconstruire lorsqu'on a subi des violences sexuelles. Chez Larousse, la parole se libère aussi sur la Dépression post-partum : la face cachée de la maternité de Chloé Bedouet et Élise Marcende mais aussi sur Le regret maternel signé Ambre. Aux Arènes, Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot livrent une enquête tout en se montrant bienveillantes dans En finir avec la rivalité féminine.
Tous formats réunis
Côté formats, l'illustré est roi. Les éditeurs surfent sur la vague du succès de certains de leurs titres en imaginant des versions illustrées susceptibles de capter d'autres publics. Leduc publie chez Leduc Graphics le roman initiatique de Saverio Tomasella, À fleur de peau. Guy Trédaniel vient d'adapter Se souvenir du futur de Romuald Leterrier et Jocelin Morisson (environ 11 000 ventes en grand format) quand Solar ne lâche pas les populaires sœurs Lesage (Celle qui a dit fuck, 2018), dont la nouveauté Et puis fuck on n'a qu'une vie, à paraître en septembre, est une BD. De son côté, Christophe André propose en fin d'année une nouvelle lecture des Consolations (l'Iconoclaste) où il illustre ses propos par des œuvres d'art. Fabrice Midal ne rate pas le coche et publie en septembre la version illustrée de Foutez-vous la paix : la méthode. Quand Natacha Calestrémé fait varier les approches avec son cahier d'énergie, paru le 25 mai, Pocket adapte en poche la revue Grand bien vous fasse de l'animateur radio Ali Rebeihi et le podcast Émotions de Cyrielle Bedu. Enfin, Eyrolles mise en juin sur la version journal de L'art subtil de s'en foutre de Mark Manson.





