Anatomie de l'autonomie. « J'ai pas de papa », répondait à l'école la narratrice de La fille de ma mère. Et les camarades d'insister : « Tes parents sont divorcés ? » Pas divorcés, non, juste pas de papa. La voix qui raconte ne fait qu'une avec celle de l'illustratrice Cathy Karsenty, qui signe ici un premier roman à teneur fortement autobiographique.
Claudine a aimé un homme, plus âgé qu'elle, déjà marié. Ils s'étaient connus en Algérie où Claudine est née au sein d'une famille juive à l'époque de la colonisation française. En France, ils ont continué à se fréquenter. Elle tombe plusieurs fois enceinte et avorte. Cette fois, elle garde l'enfant, pas le géniteur. Elle voulait sa fille pour elle toute seule. Pourtant, si mère et fille vivent quasiment en vase clos, Claudine et Cathy cohabitent sans grande complicité. Chacune préfère vaquer au plus vite à ses occupations. Cathy ne parle pas à sa mère. La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre. Claudine a toujours été une regimbeuse solitaire, guère encline à la confidence.
Claudine vieillit, elle perd la tête. Sa fille doit lui trouver un EHPAD. Julien, le compagnon de Cathy, mentionne cet établissement avec synagogue qui offre des activités pour stimuler la mémoire. Cathy n'arrête pas de faire des allers et retours entre son travail et « Rothschild » dont Claudine compte désormais parmi les résidents. En écho à cette itinérance, le texte glisse d'une temporalité à l'autre, entre souvenirs d'enfance et de jeunesse de la narratrice et période actuelle où elle enquête sur son père, ce grand absent. Au hasard d'un rangement de l'appartement maternel, Cathy découvre la correspondance entre Claudine et un certain Louis. Le père a été néantisé par la mère. Elle n'avait pourtant jamais cessé d'être en lien avec lui jusqu'au départ à la retraite de ce dernier et son retour en province. À Paris, il avait même pris un logement à deux pas de chez elles. Cathy cherche dans l'annuaire le nom de son père... Sans en avoir fait un livre drôle - telle avait été l'intention de départ comme l'énonce l'incipit -, l'illustratrice de Diabolo menthe (Dargaud, 2022), l'adaptation en BD du film éponyme de Diane Kurys, réussit comme dans ses dessins à faire rimer cocasse et perspicace. Elle rend ici un hommage pudique à cette femme libre qui l'a privée de père. Arrivé à un certain âge, on n'en veut plus à ses parents. La solitude et, sans doute, une part d'égoïsme sont la rançon de la liberté.
La fille de ma mère
Seuil
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782021602944
