Lire : À Paris aussi, les éditeurs de BD se mobilisent pour pallier l’absence d’Angoulême
Loin des bulles officielles du Festival international de la bande dessinée, la capitale du 9e art refuse de tourner la page. Après l’annonce de l’annulation du festival « In », la ville s’organise, les initiatives fusent et les acteurs locaux se retroussent les manches pour que la fête continue.
Un festival dans le festival
À l’image de nombreux festivals en France, le « In » institutionnel, officiel et davantage connu du grand public est habituellement accompagné d'une version Off plus alternative. À Angoulême, l’événement est gratuit et il le sera encore cette année. Libraires, associations, auteurs et éditeurs unissent leurs forces pour combler le vide laissé par l’événement historique. Bars, restaurants, MJC, librairies et lieux alternatifs accueilleront, fin janvier, expositions, dédicaces et concerts dessinés.
« La Débauche organise des fêtes, le Future Off pour la bande dessinée alternative, le tiers-lieu de la Baraka, mais aussi la Maison du peuple, la BD chrétienne », liste Isabelle Béringer, fondatrice de l’association Le Off du Off, à partir de la carte des Offs éditée chaque année par le média local Radio ZaiZai. « Il devrait s’en charger cette année encore et nous devrions être bien plus nombreux », confie Isabelle Béringer à Livres Hebdo.
Un espace de liberté
Depuis 15 ans, chaque année, Isabelle Béringer accueille auteurs, éditeurs et curieux chez elle pour des expositions, des rencontres mais aussi et surtout « pour faire la fête ». Cette année, malgré le boycott, elle n’y déroge pas. « J’ai longtemps hésité à me relancer mais la maison d’édition Les Requins Marteaux était toujours partante pour venir, donc je ferai comme d’habitude. J’ai la chance d’être libre d’organiser ce que je veux avec mes moyens. » Pour Isabelle Béringer, le Off est avant tout un espace de liberté dans lequel les auteurs se rencontrent, discutent, un espace convivial et festif.
Mais la présidente de l’association n’est pas la seule à revenir en force pour cette nouvelle édition. Les librairies de la ville Cosmopolite, Lilosimages, l'Autre librairie et Manga Kat répondront également présentes durant les quatre jours traditionnels du festival, du 29 janvier au 1er février 2026.
Mathieu Saint Denis, fondateur des librairies Manga Kat et Krazy Kat (Bordeaux), espère de son côté pouvoir faire venir une quarantaine d’auteurs pour organiser notamment des dédicaces. Parmi les confirmés figurent entre autres Dominique Bertail (Madeleine Résistante, Dupuis), Sandrine Revel (Grand Silence, Glénat) ou encore Paul Drouin (Les Géants, Glénat).
Isabelle Béringer dans sa maison à Angoulême- Photo KATHY SMAINPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Le libraire précise : « Le off existe depuis 50 ans mais cette année il sera beaucoup plus musclé, on continue mais en mieux ». Il évoque une quarantaine d’événements pour 200 auteurs présents.
S’il est trop tôt pour parler d’un programme officiel et définitif, Mathieu Saint Denis évoque des expositions, des concerts dessinés et espère notamment que la remise des différents prix alternatifs pourra être globalisée sur la même soirée. À ce jour, ce sont entre 6 et 9 prix qui devraient être remis, Isabelle Béringer ayant entre autres confirmé la remise des prix Schlingo, créés en l’honneur du dessinateur de BD Charlie Schlingo, et du prix Couille au cul, créé en 2016 suite aux attentats de Charlie Hebdo.
« Une champignonnière de Off »
Pour évoquer cette effervescence, Diogo Benedetti, auteur et fondateur des éditions Un Seul Homme et lauréat du prix Jeune Talent Région 2024, parle d’une « champignonnière de Off ».
Invité cette année à tenir un stand au Future Off, événement majeur de la bande dessinée alternative, Diogo Benedetti se réjouit de ce phénomène : « Je pense que ça va faire émerger de nouvelles choses. Je ne suis pas pour le côté hégémonique du festival d’Angoulême et je pense que cette édition Off permettra à de nouvelles structures de trouver leur place le temps d’un week-end. »
L’éditeur le rappelle : si les initiatives sont nombreuses, la programmation finale n’en est encore qu’à l’étape de sondage. « La mairie a reçu des dizaines de fiches projets, elle doit désormais les faire passer devant un jury pour voir ce qu’elle sera prête à financer ou pas. » La question du financement reste en effet sur toutes les lèvres. Si les organisateurs tentent actuellement de recueillir l’aide des institutions, notamment du CNL, de la Sofia et de la région Nouvelle-Aquitaine, l’enveloppe de la mairie réservée initialement à l’événement représente un espoir non négligeable pour de plus petites structures.
La question du financement
« Nous, notre budget est de zéro », rappelle Mathieu Saint Denis. « Une MJC ne va pas trouver un budget en à peine deux mois. » Au-delà d’une participation financière, la mairie s’engage à prêter du matériel et notamment des locaux. Si Xavier Bonnefont, maire de la ville, avait annoncé le 10 décembre au Figaro l’organisation par la mairie d’un Off, « La BD dans tous ses états », le projet semble aujourd’hui, selon nos sources, ne plus être d’actualité.
La mairie prend finalement le rôle d’encadrant et de potentiel financeur pour des initiatives locales qui se multiplient. « Ils essaient de récupérer l’énergie des Offs et de canaliser, mais ce sont les petites structures qui font les Offs et qui les organisent », résume Isabelle Béringer. Appelé le Grand Off, ce large projet de regroupement impulsé par la mairie ne fait pas l'unanimité, certains craignant une récupération politique de l'évènement.
Conséquence des rebondissements des derniers mois, les informations sur le Off commencent tout juste à sortir au compte-gouttes. « Nous voulions attendre de sortir du tunnel médiatique qu’a causé l’annulation du festival », explique Mathieu Saint Denis. Une communication tardive qui pose alors la question de la fréquentation et, à ce sujet, les avis divergent. Le libraire, lui, se dit optimiste : « Si j’en crois mes lecteurs de Bordeaux et d’Angoulême, je pense que nous serons nombreux. » Pour Isabelle Béringer, « il y aura moins de monde.» « Cependant, je pense que les petites maisons qui ont décidé de venir ont un public qui n’allait déjà pas dans le In et fera de toute manière le déplacement », précise-t-elle.
Réinventer le festival de demain
« Notre problématique principale, c’est la fréquentation : comment convaincre ceux qui n’ont pas encore dé-réservé de rester ou de revenir ? Le public local répondra évidemment présent, il le fait toute l’année, mais ça ne suffira pas », explique Diogo Benedetti. En même temps, l’éditeur indépendant insiste : cette démobilisation a eu lieu pour de « bonnes raisons », rappelant les accusations d’ingérence et les nombreux scandales qui ont pavé les dernières éditions du festival.
Pour lui, « la problématique principale est de recréer un événement sain, inclusif et le plus large possible ». Le Off apparaît alors comme un laboratoire, « une caisse de résonance pour les revendications, un endroit pour configurer le In de demain », explique Mathieu Saint Denis.
Parmi les revendications qu’il espère voir s’appliquer à la prochaine édition, en 2027, Diogo Benedetti imagine « un événement gratuit où les éditeurs invités ne payent pas leur stand, la mise à l’honneur du travail des artistes et leur rémunération, que les gens aient des accréditations et que le public ne paye pas un prix démentiel. »
Les enjeux du Off sont nombreux, mais au-delà du désir de refaire vibrer la ville au rythme du 9e art, Mathieu Saint Denis rappelle l’enjeu financier majeur : « Pour nous, les pertes sont énormes. Venir à Angoulême cette année, c’est un acte militant. Une année de boycott, c’est très dur ; s’il y a deux ans de boycott, on ferme. »
Le libraire rappelle que le week-end du festival représente 22 % de son chiffre d’affaires. Au-delà d’un sauvetage économique, c’est toute l’identité de la ville qui est en jeu pour Isabelle Béringer : « C’est un grand trésor, si on perd le festival, on perd notre ADN. Notre tissu économique s’est fait autour de l’image, de nos murs peints, de nos écoles d’art ; même nos plaques sont des phylactères. »
En dehors d’Angoulême
Pourtant, si le In est annulé, le boycott prend une dimension bien plus large pour de nombreux éditeurs. Serge Ewenczyk, fondateur de la maison Ça et Là, a choisi de ne pas se rendre à Angoulême, même pour le Off : « Il est important de marquer le coup sur le fait qu’il n’y aura pas de festival à Angoulême cette année. »
À Paris, il participe à l’organisation d’un regroupement d’éditeurs indépendants au Ground Control, le même week-end. Figure des premières heures du boycott, il soutient les initiatives locales tout en redoutant qu’un Off trop ambitieux ne brouille le message auprès du public. Il rappelle néanmoins que, partout en France, la bande dessinée sera fêtée durant ces mêmes dates.
Le collectif Girlxcott a en effet annoncé dans le journal L’Humanité le 15 décembre le lancement d’un événement de grande ampleur. Les Fêtes interconnectées de la BD prendront ainsi place en France et en Belgique sur les dates du festival. Parmi les Offs du festival prévus à Angoulême, l’association Future Off et la Maison des Peuples et de la Paix (MPP) ont confié au journal préférer rejoindre cet évènement.

