Une colombe au milieu du déluge. C'est l'image qui vient en observant le succès ahurissant des essais féministes dits « de société et de vécu », dont le chiffre d'affaires s'envole en solitaire, au moment où tous les autres segments dégringolent. En 2025, cette catégorie - dans laquelle s'inscrivent les best-sellers Résister à la culpabilisation de Mona Chollet (Zones, 2024), Les grandes oubliées de Titiou Lecoq (L'Iconoclaste, 2021) ou La voix des femmes de Laure Adler (Grasset, 2024) - domine le marché féministe avec une part de 36,8 % et voit ses ventes augmenter de 141 % par rapport à 2024.
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On pourrait également citer Le vertige MeToo de Caroline Fourest, qui soulève des questions directement liées au mouvement féministe mais considéré par de nombreuses libraires militantes comme un livre écrit contre les engagements qu'elles défendent. D'après Amandine Pierrat, chez Mollat, Caroline Fourest est d'ailleurs un cas à part : « Son succès suit une courbe brève, comparable à celle des livres de personnalités politiques ».
Essais exigeants, mais accessibles et incarnés
Mais les autres titres de cette liste traduisent un appétit de long terme pour des essais exigeants, mais accessibles et incarnés. Des mots d'ordre qui définissent le projet de Victoire Tuaillon et Karine Lanini. En quittant Binge et en lançant leur label Les Renversantes chez Leduc, ces éditrices ont conservé leur ligne : « Des livres que nous estimons essentiels sur des questions intersectionnelles, pensées à travers le prisme féministe ». En novembre, elles publient : Embrasser la bisexualité de Camille Teste. « Parmi les moins de 30 ans une personne sur huit est bisexuelle et ne dispose que de très peu de ressources pour s'informer », précise Karine Lanini.
À La Découverte, la collection des « Nouveaux cahiers libres » s'est créée sur ce principe. « Des textes rigoureux, mais généralement plus courts et plus libres que nos autres parutions, souvent écrits à la première personne, précise l'éditrice Valentine Dervaux. La collection ne comprend pas que des ouvrages explicitement féministes, mais la plupart d'entre eux s'empare de questions de genre. » En octobre, la journaliste Pauline Chanu y publie son essai Sortir de la maison hantée sur le thème de l'hystérie des femmes.
Démarrage en fanfare
Les ingrédients de cette tendance éditoriale ? C'est Lorraine Selle-Delavaud qui peut nous en parler. Seule aux manettes de sa maison, La Meute, lancée en 2025, elle affiche « un démarrage en fanfare » avec, pour elle aussi, des essais féministes très courts, visuellement soignés, incarnés et pensés comme des cadeaux sur des sujets qu'elle juge « indispensables ». « Pas tous les hommes quand même ! » de Giulia Foïs s'est vendu à 12 000 exemplaires.
Pour Karine Lanini, « c'est la preuve d'une exigence croissante du lectorat. Le féminisme est une grande conversation que nous entretenons depuis dix ans. Donc les sujets se diversifient et s'affinent ». Cette conversation intègre-t-elle un public plus varié en termes d'âges et de genre ? D'après Isis Hobéniche, qui organise de nombreux événements autour d'essais féministes chez MK2 Institut, c'est incontestable : « Nos salles sont composées, pour moitié, de moins de 30 ans, et c'est un public au niveau intellectuel sacrément élevé. » Une leçon à retenir pour que l'édition féministe poursuive son envol !
