Responsable de l’espace culturel d’un magasin à l’enseigne E.Leclerc, un salarié cadre a vu la Cour d’appel de Pau juger que son licenciement pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse (arrêt du 3 avril 2025, n° RG 23/01446). La Cour a également condamné l’employeur à verser d’importantes sommes au titre des primes variables non versées, des heures supplémentaires non rémunérées, et des indemnités consécutives à la rupture injustifiée du contrat de travail. Cette décision permet une bonne illustration du contrôle exercé par le juge sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur, sur la charge de la preuve en matière de rémunération variable et sur la caractérisation du statut de cadre dirigeant.
Un licenciement pour faute grave
Le salarié cadre avait été engagé en 1988 par la société CDA Sud-Ouest, et 34 ans plus tard, à la date de la rupture, il occupait les fonctions de responsable de l’espace culturel et technique. Cadre classé au niveau 9 échelon B de la convention collective du commerce à prédominance alimentaire, il percevait une rémunération mensuelle brute de 5 100 euros. Par lettre du 13 août 2021, à la suite d’un entretien préalable, l’employeur a prononcé à son encontre une rétrogradation disciplinaire sous forme de mutation. Le salarié a successivement refusé cette mesure et la proposition ultérieure, laquelle ne comportait plus de baisse de rémunération. Il a été licencié pour faute grave par courrier du 15 octobre 2021.
Saisi en contestation du licenciement, le conseil de prud’hommes de Tarbes a jugé, dans un jugement de départage en date du 20 avril 2023, que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave. Le salarié a interjeté appel, sollicitant notamment la reconnaissance de l’absence de cause réelle et sérieuse, le paiement des primes sur objectifs des années 2020 et 2021, et le rappel d’heures supplémentaires. L’employeur a formé un appel incident demandant à voir requalifier le licenciement en licenciement pour faute grave.
Le rejet de la faute grave et l'absence de cause réelle et sérieuse
La lettre de licenciement reprochait au salarié des carences managériales persistantes, susceptibles de générer des risques psychosociaux, en dépit d’un précédent avertissement, ainsi qu’une attitude déloyale envers la direction (en l’occurrence la menace d’une action prud’homale). Après examen, la Cour constate que le grief principal reposait sur un entretien professionnel du 5 juillet 2021 entre le salarié et une subordonnée, suivi d’un courrier de plainte daté du 3 août 2021. Toutefois, les éléments produits par l’employeur se révélaient insuffisamment circonstanciés et non corroborés. Par ailleurs, les nombreuses attestations favorables au salarié, y compris émanant de la salariée plaignante à une époque antérieure, jetaient un doute sérieux sur le bien-fondé des griefs. Conformément à l’article L.1235-1 du Code du travail, ce doute devait bénéficier au salarié. La Cour a donc jugé que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
Les primes variables : absence de fixation des objectifs et droit à la rémunération
Concernant les primes sur objectifs, la Cour a rappelé la jurisprudence constante selon laquelle, en l’absence de fixation claire, précoce et communicable des objectifs par l’employeur, la rémunération variable est intégralement due. L’analyse des éléments produits montrait que les objectifs pour 2020 n’avaient été communiqués qu’en août, et que pour 2021, aucun document probant n’avait été versé aux débats. Il en est résulté que le salarié était en droit de percevoir l’intégralité des montants maximaux annuels de prime.
Le statut de cadre dirigeant et le paiement des heures supplémentaires
La société soutenait que son salarié était un cadre dirigeant, exclu du champ d’application des règles relatives à la durée du travail, conformément à l’article L.3111-2 du Code du travail. Or, la Cour rappelait que la qualification de cadre dirigeant suppose la réunion de critères cumulatifs : autonomie dans l’emploi du temps, participation effective à la direction de l’entreprise, et rémunération élevée. En l’espèce, si le salarié disposait d’une certaine autonomie dans la gestion de son secteur, il restait subordonné à la direction du magasin, tant dans ses décisions que dans les recrutements.
Aucun pouvoir stratégique ne lui était reconnu. Dès lors, le salarié devait être considéré comme relevant de la durée légale du travail (35 heures hebdomadaires) en l’absence de toute convention de forfait en jours. Des attestations concordantes démontraient une amplitude de travail hebdomadaire excédant très largement cette durée. La Cour lui a accordé une indemnité au titre des heures supplémentaires sur les trois dernières années, ainsi que les congés payés y afférents.
Une appréciation rigoureuse du statut de cadre dirigeant
Cet arrêt met en lumière l’exigence du juge social quant à la justification de la faute grave, ainsi que les obligations qui pèsent sur l’employeur en matière de fixation des objectifs et de respect de la durée légale du travail. L'appréciation rigoureuse du statut de cadre dirigeant et la protection effective des droits des salariés demeurent également au cœur du contrôle opéré par la Cour d'appel.