Mme B, conservatrice territoriale des bibliothèques et directrice de la médiathèque de Saint-André, a saisi le Tribunal administratif de La Réunion afin d’obtenir la revalorisation de son indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) et le versement du complément indemnitaire annuel (CIA), avec effet rétroactif au 1er mai 2022 (Jugement du Tribunal administratif de La Réunion, 22 mai 2025, n° 2301655).
Elle contestait la décision implicite de rejet du maire de Saint-André, estimant que l’IFSE qui lui était attribuée (200 euros mensuels) était manifestement sous-évaluée au regard de ses fonctions et de ses évaluations professionnelles, et qu’elle n’avait jamais perçu le CIA. Elle sollicitait également des dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l’illégalité de la décision administrative.
De son côté, la commune de Saint-André s’opposait à la demande, invoquant l’absence de droit automatique à ces indemnités et la mise en œuvre progressive du dispositif indemnitaire (RIFSEEP), limitant le montant versé dans une première phase à 200 euros par mois pour les agents de catégorie A ; la revalorisation étant prévue pour 2025.
Étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration
La question centrale portait sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration dans la fixation et la modulation des régimes indemnitaires, en particulier l’IFSE et le CIA, et sur le contrôle du juge administratif en cas d’allégation d’erreur manifeste d’appréciation ou de faute de l’administration dans l’attribution de ces indemnités à un agent territorial.
Le tribunal a rappelé le cadre juridique applicable (notamment les articles L.714-4 et L.714-5 du code général de la fonction publique, le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 relatif au RIFSEEP, le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991, et l’arrêté du 14 mai 2018 fixant les plafonds applicables aux corps des conservateurs des bibliothèques).
Indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise
Le tribunal a constaté que Mme B. encadrait 22 agents et assumait des missions variées et complexes, nécessitant des compétences multiples (management, technique, relationnel, gestion de projets, etc.). Ses évaluations professionnelles étaient très positives, avec une appréciation générale « maîtrisée » et une satisfaction complète sur son poste.
Ajoutant que la commune de Saint-André justifiait la faible indemnité (200 euros mensuels) par un « phasage » du dispositif RIFSEEP invoqué par la commune, mais n’avait produit aucune pièce probante pour étayer ce choix ou démontrer la réalité de ce calendrier.
Face à l’absence de justification de la modulation et au vu des éléments objectifs du dossier, le tribunal a jugé que le montant attribué était manifestement sous-évalué et que le refus de revalorisation constituait une faute de l’administration. Il a donc porté le montant mensuel de l’IFSE à 1 000 euros pour la période concernée, condamnant la commune à verser à Mme B. la somme correspondante, après déduction des montants déjà perçus.
Complément indemnitaire annuel
Concernant le CIA, le tribunal s’est appuyé sur l’article 4 du décret du 20 mai 2014, qui prévoit que cette prime est variable et facultative, modulée en fonction de l’engagement professionnel et de la manière de servir de l’agent. Il a rappelé que le CIA n’est pas automatique, mais doit être attribué en tenant compte de la valeur professionnelle de l’agent.
Le tribunal a constaté que Mme B. n’avait jamais bénéficié du CIA, alors même que ses évaluations professionnelles étaient excellentes et qu’elle avait été promue au grade de conservateur en chef. Alors qu’aucun élément du dossier ne justifiait le refus d’attribution du CIA, compte tenu de la qualité du service rendu par Mme B.
Le tribunal a donc jugé que le refus d’attribution du CIA était également fautif et a fixé le montant dû à 6 000 euros pour les années 2022 et 2023 (soit la moitié du maximum prévu pour la catégorie)
Cet arrêt illustre la vigilance du juge administratif dans le contrôle de la modulation des régimes indemnitaires des agents territoriaux. Il rappelle que, si l’administration dispose d’une marge d’appréciation, celle-ci doit s’exercer dans le respect des critères légaux et réglementaires, et être justifiée par des éléments objectifs.
L’absence de justification du « phasage » ou d’une modulation fondée sur la valeur professionnelle de l’agent peut conduire le juge à revaloriser lui-même l’indemnité et à condamner l’administration à réparer le préjudice financier subi par l’agent. En outre, la décision souligne le caractère personnel et modulable du CIA, mais aussi l’obligation pour l’administration de motiver un refus d’attribution, surtout lorsque l’agent présente un dossier professionnel irréprochable.