La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2025, censurant plusieurs dispositions de la loi portée par le gouvernement sur la justice des mineurs, n’est pas seulement une correction technique. Elle constitue un rappel, salutaire, à l’esprit des textes qui fondent depuis près de 80 ans le droit pénal applicable aux enfants et adolescents.
Dans une société inquiète, traversée par des tensions sécuritaires réelles, la tentation est forte de rapprocher toujours davantage le droit applicable aux mineurs de celui des majeurs et en conséquence, de réduire les délais de jugement, d’unifier les procédures, de durcir les sanctions. Mais c’est précisément à ce moment que le droit doit faire preuve de constance, et rappeler que la justice des mineurs n’est pas un sous-ensemble de la justice pénale : c’en est une branche autonome, régie par des principes propres, qui relèvent désormais du bloc de constitutionnalité. Ce rappel tient en quelques lignes, mais il engage beaucoup.
Atténuation des peines
Il tient d’abord à l’excuse de minorité, que le texte entendait fragiliser. Ce mécanisme, loin d’être une faveur, est une garantie de justice : il marque que la responsabilité pénale ne peut s’apprécier de façon identique à 15 et à 30 ans. Le Conseil l’a clairement affirmé : cette atténuation de peine est constitutionnellement garantie, et toute dérogation exige une motivation rigoureuse. En censurant l’article 7 de la loi, qui tendait à renverser cette logique en rendant l’exclusion de l’atténuation de peine quasi systématique pour les mineurs de plus de seize ans en récidive, le Conseil a réaffirmé que l’atténuation reste le principe, et son écartement, l’exception.
Primauté de l’éducatif
Il tient aussi à la primauté de l’éducatif sur le répressif, principe directeur de l’ordonnance du 2 février 1945, maintes fois réformée mais jamais démentie dans son esprit. La réponse judiciaire donnée à un acte de délinquance juvénile ne vise pas seulement à punir : elle cherche à relever, à réinscrire dans un parcours de vie. Cette orientation ne vaut pas indulgence automatique ; elle suppose exigence, exigence d’écoute, d’accompagnement, de suivi. Elle implique du temps, donc une justice parfois plus lente, mais aussi plus ajustée.
Or c’est précisément ce temps que menaçaient de faire disparaître plusieurs mesures emblématiques — et controversées — de la loi censurée. En particulier, les articles 4 et 5, en étendant les hypothèses de recours à l’audience unique et à la comparution immédiate, permettaient de juger des mineurs âgés d’au moins treize ou seize ans, dans des conditions de célérité proches de celles appliquées aux majeurs. L’article 4 permettait même d’engager une comparution immédiate à l’encontre d’un mineur de seize ans en cas de défèrement, sans garanties suffisantes quant à la gravité des faits, à la solidité des charges, ni à la maturité du dossier. Le Conseil a censuré ces articles, considérant que ces procédures dérogeaient aux garanties essentielles du droit des mineurs, notamment la mise à l’épreuve éducative, en méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République, consacré depuis sa décision du 29 août 2002.
Impartialité des juridictions
Ce principe impose que les mesures prises à l’encontre des enfants délinquants soient adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par des juridictions spécialisées ou selon des procédures appropriées, dans une perspective de relèvement éducatif et moral. Le Conseil exerce à ce titre un contrôle de proportionnalité spécifique, modulé en fonction de l’âge du mineur, de la gravité des faits et de l’encadrement des mesures. Ce contrôle l’a également conduit à censurer l’article 6 de la loi, qui prolongeait à un an la durée de détention provisoire pour les mineurs de moins de seize ans dans certaines affaires délictuelles, alors que la durée maximale en vigueur pour ces cas est de deux mois.
Il tient enfin à l’impartialité des juridictions, que la loi censurée mettait en péril en autorisant qu’un même juge instruise et juge l’affaire. La séparation des fonctions n’est pas un luxe procédural : elle est au cœur de la confiance que les justiciables, y compris les plus jeunes, doivent pouvoir accorder à ceux qui les jugent.
Convention internationale des droits de l’enfant
Le Conseil a également censuré l’article 12, qui permettait de placer un mineur en rétention durant douze heures, sur simple décision d’un officier de police judiciaire, pour avoir méconnu une mesure éducative, sans passer par une juridiction spécialisée. Là encore, le Conseil a estimé que cette disposition ne respectait pas l’exigence d’adaptation de la réponse pénale à la situation des mineurs.
Ce que le Conseil rappelle, en somme, c’est qu’on ne réforme pas la justice des mineurs à partir des seules statistiques de délinquance ou des humeurs de l’époque. Cette justice est une construction patiente, forgée dans l’après-guerre, consolidée par des décennies de jurisprudence, nourrie par des engagements internationaux, notamment ceux issus de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Certes, il faut adapter. Certes, il faut répondre à l’évolution des violences et des comportements. Mais adapter n’est pas simplifier à tout prix, et répondre n’est pas renoncer aux fondements.
Dans un monde pressé, le droit rappelle qu’il existe un temps pour comprendre, un autre pour juger. Et, surtout, un devoir de ne pas confondre ces deux temps — surtout quand il s’agit de mineurs, dont la justice, depuis toujours, reconnaît qu’elle ne peut être exactement la même que celle des adultes.