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Livre d'occasion : le Conseil d'État valide le principe mais pointe des obstacles européens

Le SNE et le CPE enjoignent le Gouvernement de "se saisir aujourd'hui de la question du livre d'occasion" afin d'identifier "les instruments juridiques et les véhicules législatifs ou réglementaires adaptés." - Photo OLIVIER DION

Livre d'occasion : le Conseil d'État valide le principe mais pointe des obstacles européens

Le Conseil d'État a rendu un avis nuancé sur le projet gouvernemental d'instaurer une rémunération des auteurs et éditeurs sur les ventes de livres d'occasion. Le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat National de l’Édition (SNE) demandent au gouvernement d’engager un processus législatif.

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Par Éric Dupuy
Créé le 29.07.2025 à 11h28

Dans un avis du 17 juin rendu public ce 29 juillet, Le Conseil d’État a validé la conformité constitutionnelle d’instaurer une rémunération des auteurs et éditeurs sur les ventes de livres d’occasion, mais identifie des obstacles liés au droit européen.

Le Conseil d'État estime qu’un tel dispositif ne porterait pas atteinte au droit de propriété des acquéreurs ni à la liberté contractuelle. La création de ce nouveau droit d'exploitation serait justifiée par « un motif d'intérêt général tenant à la promotion de la création artistique », objectif de valeur constitutionnelle.

Obstacle européen sur l'épuisement des droits

Le dispositif envisagé obligerait certains vendeurs à déclarer leurs ventes et verser une contribution basée sur leur chiffre d'affaires. Cette rémunération serait répartie à parité entre auteurs et éditeurs, avec une fraction dédiée aux actions d'intérêt général.

Le Conseil d'État identifie cependant un obstacle dans la directive européenne 2001/29/CE. Selon l'article 4, le droit de distribution s'épuise lors de la première vente légale d'une œuvre dans l'Union européenne.

L'institution conclut que cette règle « fait obstacle à la création d'un dispositif de droit national qui prolongerait l'exploitation commerciale du droit de distribution de l'auteur en imposant la perception d'une rémunération lors du commerce ultérieur de livres imprimés d'occasion ».

Contestation des organisations professionnelles

Le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l'édition (SNE) contestent cette interprétation dans un communiqué du 29 juillet. Ils s'étonnent que l'obstacle soit fondé sur un arrêt de 1981, rendu « 20 ans avant l'adoption de la directive ».

Les deux organisations relèvent que le Conseil d'État reconnaît que « la directive 2001/29/CE, prise à la lettre, ne vise que l'épuisement du droit de contrôle de l'auteur sur la commercialisation ultérieure de son œuvre et non nécessairement celui de la possibilité de percevoir une rémunération ».

Elles estiment que la jurisprudence européenne « peut être considérée comme non établie à ce jour » sur cette question et attendent « une intervention législative ou réglementaire à la hauteur des enjeux ».

Tel qu’envisagé, le dispositif prévoit d'imposer aux plateformes de « place de marché » en ligne des obligations de déclaration et de collecte. Le Conseil d'État rappelle les contraintes du droit européen sur le commerce électronique, notamment le principe du « pays d'origine » et les règles sur la responsabilité des hébergeurs.

Le dispositif exempterait les acteurs de l'économie sociale et solidaire pour lesquels le livre d'occasion représente une activité minoritaire, ainsi que les opérateurs sous un seuil de chiffre d'affaires fixé par décret.

L’avis du Conseil d’État intervient après la saisine de la ministre de la Culture, Rachida Dati, interpellée lors du dernier Festival du livre de Paris par les représentants d’auteurs et d’éditeurs. Ces derniers estiment que l’explosion du marché du livre d’occasion via les plateformes en ligne, le valorisant dorénavant autour de 20 % en volume du marché selon une étude de la Sofia de 2024, nuit à la création et à l’équilibre de la filière. Depuis près de deux ans, ils sensibilisent les pouvoirs publics à cette évolution sensible du marché.

Le CPE et le SNE rappellent les précédents du droit de copie, du droit de prêt et de la copie privée numérique, « mises en œuvre avec une volonté politique affirmée en faveur de régulations proportionnées ». Ils se déclarent « ouverts à l'examen de tout projet de dispositif instaurant une juste rémunération des auteurs et des éditeurs ».

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