Dans cette affaire, la société Playboy Entreprises International est une société de droit américain propriétaire du magazine Playboy. Elle est investie de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle sur ses marques de renommée « Playboy » ainsi que sur l'ensemble de ses éléments distinctifs et originaux, sur lesquels elle jouit de droits privatifs et absolus au sein de l'union européenne, et notamment en France.
Playboy et ses mooks
En mai 2022, Kleverage, société de droit belge et identifiée comme l'éditeur licenciée de Playboy, a conclu une convention de collaboration avec la société Kanra Publishing France, pour la production de 4 mooks annuels Playboy France n° 11 à 18 et des calendriers 2023 et 2024, le droit pour la société Kanra d'utiliser la marque « Playboy » et le logo « Rabbit Head ». En septembre 2023, un avenant à cette convention de collaboration prorogeait ladite convention jusqu'au 31 décembre 2025 aux fins d'édition de 4 mooks annuels outre le calendrier Playboy 2025.
En avril 2024, la société Kleverage a résilié le contrat pour fautes graves de la société Kanra Publishing, avec effet immédiat, au visa de l'article 8 du contrat de collaboration et avoir annoncé la rupture des relations commerciales publiquement par un communiqué de presse publié sur le site Internet de Playboy France le 6 mai 2024. La société Kanra Publishing a contesté la rupture des relations contractuelles entre les parties et a continué de publier des mooks sous le nom Playboy France. En réaction, Kleverage diffuse alors plusieurs messages (courriels à ses partenaires, communiqués de presse sur le site et les réseaux sociaux, éditoriaux) qualifiant les publications de Kanra de « contrefaçon ».
La société Kanra Publishing a alors assigné Kleverage en référé pour dénoncer ce qu'elle estimait être un dénigrement fautif et un trouble manifestement illicite, demandant l'interdiction de ces publications et une provision pour dommages-intérêts. En première instance, une ordonnance de référé du 24 janvier 2025 avait débouté la sociéré Kanra Publishing, estimant que l'entreprise avait perdu tout droit à produire les mooks suite à la résiliation du contrat et que qualifier ces mooks de « contrefaçon » n'était pas un dénigrement avec l'évidence requise en référé.
Dénigrement fautif
Dans son arrêt (4 décembre 2025, N° RG 25/03101), la Cour d'appel de Paris infirme l’ordonnance rendu en faisant un rappel des principes essentiels du droit de la concurrence déloyale et rappelant la définition du dénigrement, à savoir l'atteinte portée à un concurrent par le discrédit jeté sur ses produits ou services. Il constitue un exercice abusif de la liberté d'expression et, par conséquent, un trouble manifestement illicite.
A ce titre, la Cour a souligné deux points fondamentaux. Premièrement, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte (l'exception de vérité n'étant pas applicable en matière de dénigrement, contrairement à la diffamation). Deuxièmement, le fait de mettre en garde la clientèle ou les distributeurs d'un concurrent sur l'existence d'un risque de contrefaçon ou de concurrence déloyale constitue un acte de dénigrement dès lors que cette information ne repose sur aucune décision de justice, a fortiori lorsqu'aucune action n'a été introduite.
Ainsi, la Cour d'appel a constaté que les informations diffusées par Kleverage entre avril et octobre 2024, alléguant un risque de contrefaçon, ne reposaient sur aucune décision de justice ni sur l'introduction d'une action ; cette dernière n'ayant été intentée qu'en novembre 2024. En affirmant sans base factuelle suffisante, ni mesure que Kanra Publishing n'était plus détentrice d'aucun droit pour publier sous le nom de Playboy, Kleverage a jeté le discrédit sur l'authenticité et la régularité des mooks de Kanra auprès des partenaires et lecteurs. La Cour a conclu que ces agissements constituaient des faits de dénigrement fautif portant atteinte aux principes de concurrence loyale et caractérisant un trouble manifestement illicite.
Pas de contrefaçon sans jugement
Cet arrêt est une illustration rigoureuse de la protection du marché contre la concurrence déloyale par dénigrement, même en cas de conflit contractuel majeur. Il réaffirme l'interdiction, pour un acteur économique, d'utiliser l'allégation de contrefaçon comme argument commercial ou de communication pour discréditer un ancien partenaire, sans attendre une validation judiciaire de cette qualification. Même si la société Kleverage estimait avoir résilié valablement le contrat et que les publications étaient illégitimes, la Cour rappelle que l'usage de termes aussi graves que « contrefaçon » en l'absence de jugement constitue, en soi, un trouble manifestement illicite préjudiciable aux règles de la concurrence loyale.
