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Dimitri Kennes : « Le succès de Philippe Boxho, je n’ai jamais vu ça en 30 ans d’édition »

Philippe Boxho, médecin légiste et auteur à succès - Photo Kenzo Tribouillard - AFP

Dimitri Kennes : « Le succès de Philippe Boxho, je n’ai jamais vu ça en 30 ans d’édition »

À la tête de la maison d’édition belge Kennes, Dimitri Kennes vit depuis deux ans un tourbillon inédit. L’éditeur du médecin légiste Philippe Boxho, devenu en quelques mois un phénomène médiatique et de librairie, raconte comment sa petite maison familiale, passée tout près de la faillite, s’est retrouvée au cœur de l’un des plus grands succès éditoriaux récents. A l’occasion de la parution du quatrième volume de l'auteur, La mort c’est ma vie le 27 août prochain, Livres Hebdo s’est entretenu avec son éditeur.

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Par Louise Ageorges
Créé le 14.08.2025 à 16h27

Livres Hebdo : Vous avez fondé la maison Kennes en 2012 avec votre épouse. Quel a été votre parcours jusqu’à l’aventure Philippe Boxho ?

Dimitri Kennes : J’ai été directeur des éditions Dupuis de 2000 à 2006, puis j’ai quitté le navire lorsque Média-Participations est devenu actionnaire majoritaire. En 2012, nous avons créé la maison d’édition Kennes et en 2020, la situation s'est dégradée : nous étions diffusés par le groupe Delcourt, et nous leur avons indiqué que nous étions ouverts à rejoindre un groupe plus large. Malheureusement, les années 2021 et 2022 n’ont pas été plus florissantes, et nous nous sommes finalement retrouvés seuls en 2023... Nous étions alors à deux doigts de la faillite… et le tribunal nous a finalement autorisés à reprendre seuls l’entreprise.

Et dans votre catalogue, il y avait déjà Philippe Boxho ?

Oui, ses deux premiers livres étaient parus en 2022 et 2023, mais uniquement en Belgique. J’ai découvert Philippe Boxho, comme beaucoup de mes compatriotes, sur un plateau de la RTBF, où il intervenait pour partager son expertise dans le cadre d’une enquête. Nous, petite équipe éditoriale, avons alors eu l’idée de lui proposer un chapitre pour notre collection « Histoire de société ».

Au départ, il était réticent, mais l’idée de sensibiliser le public aux réalités de sa profession et de contribuer à encourager de nouveaux financements l’a convaincu. La médecine légale en Belgique accuse un net retard par rapport à ses voisins européens, et Philippe Boxho voulait partager cette réalité.

Quelques mois plus tard, le phénomène a pris une ampleur que je n’avais jamais observée en trente ans d’édition. L’émission sur la RTBF a dépassé les 10 millions de vues, et son passage sur le plateau de Guillaume Pley en 2024 a également rencontré un succès immense. Sans aucune prospection de notre part, Hachette, notre diffuseur et distributeur, nous a informés qu’il y avait une réelle demande en France. C’est alors que tout a littéralement explosé.

À quel point ?

Pour vous donner une idée, le troisième tome, initialement prévu à 50 000 exemplaires, a finalement été tiré à… 300 000. Nous vendons à ce jour 30 à 50 000 exemplaires par mois. Les droits étrangers sont cédés dans 15 à 17 langues. Et puis nous recevons énormément de demandes pour des adaptations audiovisuelles, mais nous préférons attendre. Philippe Boxho raconte la réalité de son métier de médecin légiste, ce n’est pas si simple à transposer à l’écran sans dénaturer son propos.

Lire aussi : Philippe Boxho, le médecin légiste qui règne sur les meilleures ventes

Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce succès fulgurant ?

Il a une capacité rare à vulgariser et un humour cynique qui dédramatise le tabou de la mort. Et puis, c’est un excellent communicant, à l’aise en télé, radio, podcast… Il s’adapte à son public, parle aussi bien d’histoires criminelles que d’art. Et surtout, il reste simple. On refuse volontairement certains contrats « en or » qui ne correspondent pas à son univers.

Comment travaillez-vous ensemble sur ses livres ?

Philippe Boxho écrit vite mais la préparation en amont peut être longue. Le premier tome était inspiré de ses cours universitaires. En revanche, pour les tomes qui ont suivis, il a puisé dans ses souvenirs, ses dossiers, ses carnets. Quand il se lance, il s’isole dans le Nord de la France et, en cinq à six semaines, le manuscrit est prêt. Puis nous vérifions le contenu avec un juriste spécialisé en droit intellectuel : il modifie noms, professions, invente des vies pour éviter toute identification directe, seule la vérité médico-légale doit primer.

La médecine légale est une thématique difficile, parfois choquante. Comment parvenez-vous à l’aborder dans les livres de Philippe Boxho ?

Dans le premier tome, nous avons choisi ensemble d’aborder des sujets relativement « soft », des cas moins choquants, par prudence. Mais nous avons vite constaté que les lecteurs étaient demandeurs, ce qui a permis à Philippe Boxho de se permettre un peu plus de réalisme dans le deuxième tome. Ce qu’il raconte peut être terrible, mais c’est la réalité, et le public préfère en être informé. D’ailleurs, certains médecins recommandent même ses livres à leurs patients pour les aider à dédramatiser la mort.

Quel est son lectorat et quel lien entretient-il avec ce dernier ?

Il très diversifié et souvent intergénérationnel. Beaucoup de jeunes lecteurs font découvrir ses livres à leurs parents, qui deviennent alors un point de rencontre pour toute la famille. Philippe Boxho ne court pas après le succès : il reste simple et constant, fidèle à sa vision. Cette authenticité permet de créer un vrai lien avec ses lecteurs.

Vous préparez déjà la suite…

Oui, le 27 août paraîtront le premier tome au format poche (150 000 exemplaires), le tome 2 en Audible et bien sûr son quatrième livre La mort c’est ma vie avec un tirage prévu à 400 000 exemplaires. D'ailleurs, pour la première fois, le format poche sera vraiment réellement prospecté en France. On développe aussi un projet de bande dessinée avec Pierre Alary, inspiré de l’univers de Philippe Boxho. Et à l’horizon 2026, nous souhaiterions créer de vrais polars à partir de ses histoires.

Votre maison d’édition a donc complètement changé de dimension ?

Oui, pour commencer nos deux fils aînés ont intégré l'équipe. Aujourd’hui, nous avons l’avenir devant nous et nous voulons être à la hauteur de ce succès. Heureusement, Hachette, qui a toujours été notre diffuseur et distributeur, nous a soutenus avec une souplesse sans laquelle nous ne serions pas là. Nous avons également fait appel à une agente, Susanna Lea, pour gérer l’international et les adaptations. Je n’avais encore jamais eu à traiter un tel succès à l’étranger.

Pour autant, notre priorité reste de préserver notre indépendance. Nous limitons volontairement notre production à une trentaine de titres par an. Notre ambition est de gérer ce succès avec rigueur, car nous savons qu’un tel phénomène n’arrive qu’une fois dans une vie. 
 

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