Des couvertures bariolées, un petit format et, chaque fois, la promesse d’une plongée thématique. Depuis sa création en 1995 à l’initiative d’Isabelle Gallimard, le Petit Mercure, collection benjamine du Mercure de France, propose de véritables « petites bibliothèques portatives ». Trente ans plus tard, la collection continue de réhabiliter des œuvres intemporelles, redécouvertes à la lumière de notre époque.
« À l’origine, il s’agissait non seulement de doter le Mercure de France d’une collection au format poche, mais aussi de remettre en lumière des textes peu connus de grands auteurs » », retrace Isabelle Gallimard. Cette ambition prend d’abord forme avec une première série de contes pour adultes, généralement éclipsés par les grands classiques de plumes notoires. Ainsi ont émergé des récits aussi étonnants que Le Conte véridique d’Ernst T. A. Hoffmann, Le Chat noir de François-Marie Luzel ou que les Contes hiéroglyphes d’Horace Walpole.
Réhabiliter des trésors cachés
« Ce premier essai a été très bien accueilli et nous a donc conforté dans l’idée de poursuivre les séries thématiques », commente Isabelle Gallimard. Aux contes a succédé un assortiment de productions tirées du « XVIIIe siècle des femmes » — une idée de Chantal Thomas donnant lieu à l’exhumation de correspondances ou de réflexions signées Madame de Staël, Madame Roland ou Madame de Tencin.
Dans le même esprit, Claude Schopp, spécialiste d’Alexandre Dumas, a insufflé une série revalorisant les nouvelles de l’auteur du Comte de Monte-Cristo, avec des titres tels que L’invitation à la valse ou Le pays natal. « À chaque nouvelle série, la thématique principale ainsi que le choix des textes ont été proposés et amenés par un éditeur différent », souligne Jean-Michel Decimo, qui codirige la collection en binôme avec Isabelle Gallimard.
Avant de s’achever, la décennie 1990 a également été l’occasion de remettre à l’honneur Tolstoï et Tourgueniev au cœur du « Bestiaire sentimental », mais aussi des humoristes insoupçonnés, à l’image de Félix Fénéon et de Mark Twain. Françoise Dolto et son invitation à faire dialoguer adultes et enfants, ces êtres « qui sentent juste », n’a pas non plus manqué de marquer les esprits tout comme la nouvelle réédition du Con d’Irène de Louis Aragon, récit érotique maintes fois censuré pour avoir bouleversé les codes de la bienséance, et republié par la maison en 2000.
« L’idée était d’avoir toute une bibliothèque dans la poche »
L’arrivée de l’auteur et spécialiste d’objets ethnographiques Jean-Noël Mouret aura néanmoins marqué un tournant décisif dans la ligne directrice du Petit Mercure. « C’est grâce à lui qu’en 2002 nous avons décidé d’élargir la production de la collection. Il a débarqué un peu par hasard, en proposant une anthologie des villes », se souvient Isabelle Gallimard.
C’est aussi à ce moment-là que « Le Goût de… », sorte de « collection dans la collection » est apparue, consacrant une vaste diversité d’anthologies littéraires à des thématiques aussi larges que le voyage, les destinations ou la culture. Roman, poésie, théâtre, chanson… Chaque volume est enrichi d’un florilège d’extraits littéraires choisis avec soin, l’ensemble formant un véritable écrin de collection.
« L’idée était d’avoir toute une bibliothèque dans la poche et qu’on puisse l’emporter avec soi, ou voyager à travers elle », décrit Jean-Michel Decimo. Inaugurée avec Le goût de Venise, de Barcelone et de Lisbonne, la collection s’est d’abord concentrée sur « de grandes capitales européennes dont nous savions que le potentiel touristique allait trouver son équivalent en termes de volumes et de potentiel commercial », précise Jean-Michel Decimo.
Une collection incontournable
Illustration indubitable de cette réussite, Le goût de Venise arrive, encore aujourd’hui, en tête des ventes, comptabilisant quelque 40 000 exemplaires vendus depuis sa parution. Mais à ces premiers titres consacrés aux destinations ont suivi des nouveautés aux tropes élargis, à l’instar du Goût de la marche, Le goût du voyage ou encore Le goût de l’humour juif, devenues aujourd’hui emblématiques. Portée par ces succès durables, et très identifiée des libraires qui saluent son accessibilité – les ouvrages de la collection n’excèdent pas le modeste prix de dix euros - Le Petit Mercure représente, aujourd’hui, près de 10% du chiffre d’affaires total des éditions du Mercure de France.
« Ce sont des achats d’impulsion. Les lecteurs en achètent généralement un ou deux lorsqu’ils partent en voyage, deux ou trois lorsqu’ils en font cadeau », relate Jean-Michel Decimo. Au fil des années, la collection Le Petit Mercure ne s’est d’ailleurs pas contentée de prolonger l’identité historique du Mercure de France. Elle a également su explorer les marges du patrimoine littéraire, se renouvelant au gré des mutations sociales et culturelles de son temps avec des titres tels que Le goût du féminisme ou Le goût de l’homosexualité. Une manière de faire dialoguer les textes d’hier et les questionnements d’aujourd’hui, pour gagner durablement le cœur de son public.