Plus qu’un logo, le dessin du petit immeuble emblématique du 27 rue Jacob, avec sa grille, qui figure sur la plupart des couvertures de ses livres, est un rappel de l’histoire du Seuil. Créé en 1935 par le publicitaire Henri Sjöberg, puis dirigé par Jean Bardet et Paul Flamand, l’éditeur, à partir de l’après Seconde Guerre mondiale, a pris toute sa place dans le paysage littéraire et culturel français, aux côtés de ses confrères plus anciens : Gallimard, Grasset, Albin Michel, Stock, Flammarion, Fayard…
Affichant un fort engagement intellectuel et social, tendance « catho de gauche », la maison s’est imposée dans le domaine des sciences humaines, de l’histoire, et de la littérature, française et étrangère. Elle a inventé des collections parfois expérimentales, devenues cultes : Pierres Vives, Esprit (avec la revue éponyme), Écrivains de toujours, Le champ freudien, Fiction & Cie, ou Tel Quel, avec de fortes personnalités à la manœuvre, aussi auteurs maison : Jean Cayrol, Roland Barthes, Jacques Lacan, Denis Roche, Jacques Roubaud, Philippe Sollers et bien d’autres.
Aventures et métamorphoses
La fiction, française et étrangère, n’était pas en reste. De nombreux grands prix furent au rendez-vous, à commencer par le premier Goncourt de la maison, André Schwarz-Bart, avec Le dernier des justes, en 1959. Le Seuil, depuis 1935, a connu des aventures, des métamorphoses, des changements de patrons, des déménagements. Aujourd’hui constitué en groupe, il appartient depuis 2018 à Média-Participations, et est présidé par Coralie Piton. Alors qu’elle a pris la tête de la maison à l’automne dernier, il nous a paru intéressant de lui demander ce qu’elle retient de ces 90 ans d’histoire et quelles pistes elles tracent pour l’avenir. ». Entretien d’anniversaire.
Livres Hebdo : Depuis combien de temps êtes-vous présidente du groupe Seuil ?
Coralie Piton : Huit mois. C’est peu, mais ça m’a permis de prendre un peu de recul.
Vous n’êtes pas issue du « sérail éditorial » ?
En effet, je n’ai pas fait mes gammes dans l’édition. J’ai travaillé dans les industries culturelles : Canal +, la Fnac, première librairie de France, où j’étais directrice du livre, ce qui m’avait déjà fait connaître le secteur du livre, puis l’audiovisuel.
À la tête de quelle entité vous trouvez-vous ?
Le groupe Seuil, c’est une maison d’édition, et ses trois filiales : Points, Métailié et L’Olivier. Quelque 100 personnes en tout, avec 300 titres par an en grand format et un chiffre d’affaires de 85 millions d’euros, soit 2 % de parts du marché total de l’édition. C’est une maison de taille moyenne qui continue de marcher sur ses deux jambes : la littérature et les sciences humaines, au sens large, avec l’histoire. Elle se veut toujours d’avant-garde, et innovante.
Que reste-t-il dans son ADN du Seuil d’origine ?
L’engagement en faveur des idées progressistes, nées dans l’après-guerre. Un héritage très fort, qui nous oblige et nos permet d’explorer des sujets et des formes inattendues, de nous renouveler. Il faut que l’on arrive à trouver notre place, à séduire toutes les générations, notamment les plus jeunes, en traitant de sujets de société qui les intéressent. Le Seuil doit se mettre au diapason de son lectorat, sans renier ses fondamentaux.
« Nous devons être présents sur tous les combats progressistes et citoyens contemporains »
Comment votre groupe fonctionne-t-il ?
Je dirige l’ensemble, mais les éditions Métailié et de L’Olivier sont indépendantes, avec une totale liberté de programmation et d’innovation.
Et au sein de Média-Participations ?
Le Seuil jouit dans le groupe d’une totale autonomie d’action, puisque nous sommes sa seule maison de littérature générale.
Le Seuil a connu récemment des changements, des départs, comment vous-êtes vous réorganisés ?
Après le départ d’Adrien Bosc, Maud Simonnot, directrice littéraire, a pris toute sa place pour redonner du lustre à la littérature au Seuil. Nous visons notamment les grands prix littéraires, d’où la maison est un peu absente depuis quelques années par rapport à ses principaux concurrents. Mais les Goncourt de Lydie Salvayre (au Seuil, en 2014), et de Jean-Paul Dubois (à L’Olivier, en 2019), ne sont pas si lointains. Et nous sommes enchantés du Médicis de Julia Deck, l’année dernière.
D’après une enquête publiée sur votre site, les cinq auteurs Seuil préférés des libraires sont Édouard Louis, Chloé Delaume, Philippe Delerm, Chantal Thomas et John Le Carré. Que pensez-vous de ce panorama ?
Qu’il reflète parfaitement la maison : Édouard Louis, c’est de la littérature de très grande qualité, audacieuse par sa forme, avec une forte visibilité sociale ; Chloé Delaume, c’est l’engagement féministe, mais pas seulement ; Philippe Delerm, lui, traverse le temps, dans une proximité exceptionnelle avec ses lecteurs ; Chantal Thomas est l’une des égéries de « Fiction & Cie ». Quant à John Le Carré, il incarne la grande littérature étrangère, toujours centrale chez nous. Mais Bénédicte Lombardo, qui dirige ce secteur, est aussi à la recherche de voix nouvelles, et pas forcément anglo-saxonnes.
Comment voyez-vous l’avenir du Seuil ?
Nous sommes et demeurons avant tout une maison. Toujours de gauche, humaniste, progressiste, avec sa diversité d’opinions, ses débats. Nous devons être présents sur tous les combats progressistes et citoyens contemporains (écologie, féminisme, minorités, place de la tech…). Le tout en évoluant dans notre secteur, lequel se trouve, comme chacun sait, à l’orée de changements majeurs, d’une secousse qui va nous obliger à nous adapter, à nous réinventer. Mais je suis résolument optimiste.