Enjeux du droit

Une charte pour l’intelligence artificielle

Sommet pour l'action sur l'IA au grand palais à Paris en février 2025 - Photo Ludovic Marin/AFP

Une charte pour l’intelligence artificielle

À l’occasion du Sommet de Paris 2025 pour l’action sur l’intelligence artificielle, 38 organisations européennes et mondiales de défense de la création ont appelé à soutenir le développement d’une IA éthique et respectueuse des droits de la propriété intellectuelle autour de trois grands principes :  transparence, autorisation, rémunération. Notre chroniqueur détaille les implications juridiques de cette exigence.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 16.02.2025 à 12h00

L’intelligence artificielle (IA) s’impose aujourd’hui comme une force disruptive dans de nombreux secteurs, notamment celui de l’édition. Véritable catalyseur de création, elle suscite à la fois fascination et inquiétude. D'un côté, elle offre de nouvelles possibilités aux créateurs, transformant les modes de production et de diffusion des œuvres. De l'autre, elle interroge les fondements juridiques liés au droit d'auteur, à la rémunération des artistes, et à l’intégrité des œuvres dans un environnement numérique en constante mutation. Tout au long du Sommet de Paris 2025, plusieurs débats ont eu lieu sur les questions juridiques liées à l’intelligence artificielle et la culture.

 

Sur la création juridique

L’IA permet aux artistes de repousser les limites de leur créativité, notamment grâce à des modèles génératifs capables de produire des œuvres visuelles, musicales ou littéraires. Ces outils peuvent assister le créateur dans des tâches répétitives, mais posent un problème central : qui détient les droits d’auteur sur une œuvre créée ou co-créée par une machine ? Le droit d’auteur, conçu historiquement pour protéger les créations humaines, est aujourd’hui confronté à des situations inédites. En effet, l’IA pose plusieurs questions fondamentales :

La titularité des droits

L’IA peut-elle être reconnue comme auteur d’une œuvre ? Si ce n’est pas le cas, les droits doivent-ils revenir à l’utilisateur ou au concepteur de l’outil ?

La traçabilité des œuvres

La transparence sur les données utilisées pour entraîner les modèles devient cruciale pour garantir l’authenticité et l’originalité des créations.

Les risques d’usurpation

Des créateurs voient leurs œuvres copiées ou reproduites sans autorisation par des modèles d’IA formés sur des bases de données non déclarées.

 

Sur le patrimoine : préservation et innovation grâce à l’IA

Dans le domaine du patrimoine, l’IA offre des outils puissants pour la numérisation, la restauration et l’analyse d’archives historiques. Les technologies de reconnaissance automatique permettent d’explorer des hypothèses de restitution ou de reconstitution d’œuvres disparues. Par exemple, des projets de transcription automatisée de recensements anciens visent à créer des bases de données généalogiques inédites. Toutefois, des défis juridiques émergent, notamment autour de la souveraineté des données culturelles. Il est impératif de garantir que les informations collectées et traitées soient exploitées de manière éthique, sans compromettre la propriété culturelle publique.

Les défis dans le secteur de l’Information

L’IA générative bouleverse également le domaine de l’information, rendant plus difficile la distinction entre contenus véridiques et ceux issus d’algorithmes probabilistes. Ce phénomène alimente la prolifération des fake news et pose des questions sur la responsabilité juridique des créateurs de contenus automatisés. L'Union européenne, avec son « AI Act », a introduit des obligations de transparence. Les opérateurs d’IA doivent désormais fournir un résumé détaillé des données utilisées pour entraîner leurs modèles. En cas de manquement, des amendes pouvant atteindre 3 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise sont prévues.

Les enjeux du secteur de l’édition

L’édition est particulièrement impactée par l’essor de l’IA. De plus en plus d’ouvrages générés automatiquement inondent les plateformes d’autoédition, menaçant la visibilité des créations humaines. Cette situation pousse les éditeurs à revendiquer des droits renforcés, notamment la possibilité d'exercer un droit d’opt-out permettant de refuser l’utilisation de leurs œuvres par des systèmes d’IA. Les principes défendus par les acteurs du secteur incluent :

  • La reconnaissance du droit d’auteur comme un droit fondamental.
  • La transparence des données utilisées pour l'entraînement des modèles d'IA.
  • La négociation préalable des autorisations d’utilisation avec les titulaires de droits.
  • Une rémunération juste et équitable pour l’exploitation des contenus protégés.
  • Des sanctions effectives en cas de non-respect des obligations légales.

 

Sur la protection et la confidentialité des données

Les outils d’IA destinés aux éditeurs proposent des fonctionnalités avancées, telles que l’extraction de métadonnées, la création de synopsis ou l’analyse marketing. Cependant, la confidentialité des données, notamment des manuscrits, reste un enjeu majeur. Les entreprises exploitant ces technologies doivent s'engager à ne pas utiliser les informations sensibles pour entraîner leurs modèles. La protection des données sensibles est également renforcée par les régulations européennes qui imposent des normes strictes en matière de sécurité et de respect de la vie privée.

Vers un cadre juridique européen

Le développement de l’intelligence artificielle en Europe s'inscrit dans un cadre réglementaire ambitieux, visant à concilier innovation et protection des droits fondamentaux. Le « AI Act » impose des standards élevés de transparence, de responsabilité et de sécurité juridique. À partir de 2025, un code de bonnes pratiques sera mis en place pour accompagner les acteurs du secteur dans leur mise en conformité avec la loi. En France, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) joue un rôle clé dans la mise en œuvre de ces régulations. Il veille à garantir une rémunération juste pour les ayants droit et à prévenir les abus liés à l’utilisation des contenus culturels par les modèles d’IA.

C’est dans ce cadre que 38 organisations européennes et mondiales de défense de la création ont signé une carte visant à soutenir le développement d’une IA éthique et respectueuse des droits de la propriété intellectuelle autour de trois grands principes :  transparence, autorisation, rémunération.

S’appuyant sur la recommandation du Conseil sur l’intelligence artificielle de l’OCDE en date du 3 mai 2024, sur la Déclaration de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 11 mars 2024, sur le développement de systèmes d’intelligence artificielle sûrs, sécurisés et dignes de confiance et sur le processus du G7 dit « d’Hiroshima », les signataires soutiennent les principes suivants :

  • Le respect des droits fondamentaux par les modèles d’IA, dont le droit d’auteur et les droits voisins, notamment par la recherche diligente et le respect de la volonté expresse des titulaires de droits.
  • La transparence effective et complète vis-à-vis des titulaires de droit sur les œuvres et contenus protégés utilisés pour assurer l’entraînement des modèles d’IA
  • L’encouragement des modèles d’IA à conclure des licences dans le cadre d’autorisations dûment négociées avec les titulaires de droits.
  • Une rémunération juste et appropriée pour l’utilisation des œuvres et des contenus protégés par la propriété intellectuelle.
  • Des sanctions efficaces en cas de non-respect de ces principes.

Un équilibre entre innovation et protection

L’intelligence artificielle est à la fois une opportunité et un défi pour le secteur culturel. Son intégration réussie repose sur la mise en place d’un cadre juridique clair et équilibré, capable de protéger les créateurs tout en favorisant l’innovation. Les solutions proposées, telles que la transparence des données, les mécanismes de rémunération et les dispositifs de protection des droits d’auteur, permettent d’envisager un cadre raisonnable et proportionné des intérêts en jeu.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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