Le 4 juillet 2022, Robert Badinter inaugurait la bibliothèque de la prison de Paris La Santé, recréée et gérée par l’association Lire pour s'en sortir (coup de cœur du jury du Grand Prix des Bibliothèques 2024). Elle porte désormais son nom. Comme le fil d’une vie au service d’une certaine idée de la justice dont le cœur battant a été et est resté les livres. Par sa plume et son verbe, il en a écrit de nombreux qui sont devenus non seulement des classiques, mais surtout des talismans pour beaucoup de magistrats et d’avocats, de L’exécution à L’Abolition en passant par La prison républicaine ou Condorcet (publiés ou republiés chez Fayard, puis au Livre de poche). Tour à tour avocat, professeur, écrivain, garde des Sceaux, président du Conseil constitutionnel, sénateur, Robert Badinter a eu mille vies au service de cette Justice qu’il aimait autant qu’elle le mettait en colère. S’il est aujourd’hui presque unanimement admiré, il a longtemps été l’homme le plus détesté de France.
« Une réflexion exigeante et une charge de travail conséquente »
Pour lui rendre hommage, un remarquable livre sort ces jours-ci sous la direction de deux de ses anciens et éminents collaborateurs, Antoine Lyon-Caen et Jean-Marc Sauvé, avec le soutien bienveillant d’Élisabeth Badinter et la coordination éditoriale de Florence Creux-Thomas, aux éditions LexisNexis. Vingt-sept témoins – magistrats, avocats, universitaires et anciens collaborateurs – y livrent leurs récits. De la réforme des conditions de détention à la dépénalisation de l’homosexualité, de la suppression des juridictions d’exception à la justice internationale, chaque bataille menée illustre la vision humaniste et l’engagement indéfectible de Robert Badinter pour un droit plus juste.
Ils rendent hommage au combat d’une vie pour la dignité humaine et l’État de droit et explore les différentes facettes de sa carrière, ses convictions profondes et son impact durable sur la société française et internationale. Tous attestent d’un homme à la rigueur intellectuelle inébranlable, toujours guidé par une profonde bienveillance et un respect absolu du débat. « Travailler avec lui, c’était s’engager sur les chemins escarpés d’une réflexion exigeante et d’une charge de travail conséquente », confie l’un de ses anciens collaborateurs.
Illustré de récits de vie inédits, d’archives originales, de textes si percutants sur ses différents combats et de magnifiques photographies d’époque, ce livre retrace les grandes étapes de la carrière de Robert Badinter. Il met en lumière l’influence qui a été sienne dans l’élaboration des lois et la réforme des institutions de notre société contemporaine. Avec à la fin de l’ouvrage, de nombreuses reproductions de textes manuscrits où son écriture et ses ratures montrent de manière émouvante une pensée en gestation et en action. Cette somme exceptionnelle permet de mieux comprendre la portée de son action et la richesse de son héritage.
Rassembler les codes pour défendre le ministère
Toute sa vie, Robert Badinter a été guidé par une conviction profonde que la société avait besoin d'institutions solides, fondées sur les droits fondamentaux de l'homme. Il a cru fermement en la loi et en son rôle dans la protection de la liberté et de la dignité humaine. Son engagement en faveur des droits de l'homme et de la justice a été constant et inflexible. Il a transmis son savoir et ses réflexions, partageant notamment ses convictions avec ceux qui ont eu le privilège de travailler avec lui. Dans ce livre, ses collaborateurs témoignent de leur chance de travailler avec lui. Robert Badinter chérissait le travail et se réjouissait des moments de réflexion et d'écriture. Il associait ses collaborateurs à ses réflexions, les écoutait avec bienveillance et les interrogeait avec exigence.
Ses doutes et ses convictions étaient partagés, créant un engagement collectif. Il respectait les personnes et les questionnait de manière constructive, sans créer de concurrence inutile. Son cabinet à la Chancellerie était décrit comme une ruche bourdonnante et amicale, unie derrière lui. À cet égard, il faut écouter le témoignage de Jean-Marc Sauvé dans la série À voix nue sur France Culture racontant ce moment si lourd de menaces où les policiers en colère manifestent Place Vendôme sous les fenêtres de Robert Badinter, salués par leurs collègues chargés d’assurer la protection du ministère de la Justice qui retirent leurs képis en signe de solidarité. Et Robert Badinter de demander à ses collaborateurs de rassembler tous les codes de droit pour se défendre en cas d’invasion du ministère !
« Dis-moi comment sont tes prisons, je te dirai quelle société tu es ? »
Plonger dans ce livre, c’est ressentir le frisson des grands moments de l’histoire de notre justice de la fin du siècle dernier, toucher la vie de travail d’un homme singulier au service d’une idée qui le dépassait et se nourrir de grands textes aussi pénétrants que passionnants. En effet, Robert Badinter a été bien plus qu'un homme de talent et de conviction. Il a été un homme de justice et de raison. Il a incarné le meilleur de l'esprit français, fidèle à l'héritage des Lumières. Défendant avec constance et clarté les principes fondamentaux de la République.
Son œuvre et son engagement laissent une empreinte durable et profonde sur la justice française. A cet égard, les pages de ce livre sur la prison en France avec les textes de Robert Badinter, de Michelle Perrot, de Mireille Imbert-Quaretta, d’Isabelle Gorce et de Jean-Marie Delarue sont autant de réflexions nécessaires qu’inspirantes qui incitent à l’action. Avec cette question fondamentale posée par Robert Badinter dans La Prison républicaine dont des extraits sont reproduits : « Dis-moi comment sont tes prisons, je te dirai quelle société tu es ? » Vu l’état actuel des prisons françaises, il y a des raisons légitimes de s’inquiéter.
Pour bien comprendre la vie de Robert Badinter, il faut lire l’hommage qu’il a rendu, en 1985, à Victor Hugo à la Sorbonne pour les 100 ans de sa mort. Comme un double de lui-même : « La cause de la justice, il l'a faite sienne, dès l'adolescence. Et jusqu'à sa mort, il l'a soutenue sans jamais fléchir, sans jamais faillir, sans jamais balancer, ni transiger avec les convenances ou les complaisances politiques. Plus qu'aucun homme public dans son siècle, Hugo a été le champion d'une autre Justice, plus humaine, plus fraternelle que celle de son temps. Et c'est ce message adressé à la conscience humaine illuminant sa vie et son œuvre, qui leur donne cette force et cette unité incomparables. »