Juridique

La responsabilité du public dans une librairie

Vue de la librairie Sauramps et des restaurants de la place inférieure du Polygone à Montpellier, France. - Photo Wolfgang Staudt

La responsabilité du public dans une librairie

Une poutre à l’origine d’un dommage corporel dans la librairie Sauramps de Montpellier a donné lieu à un jugement du tribunal judiciaire de Nanterre, qui rappelle les exigences juridiques des établissements recevant du public.

J’achète l’article 1.5 €

Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 22.04.2025 à 12h06

Le 1er avril 2019, un client, alors âgé de 68 ans, pénètre dans le rayon beaux-arts de la librairie Sauramps, à Montpellier. En descendant un escalier, il se redresse et heurte violemment une poutre située à 1,86 m du sol, provoquant un traumatisme cervical et des vertiges persistants. Il dépose alors une main courante dans la foulée, consulte un médecin et engage des démarches amiables restées infructueuses. Contestant l’expertise diligentée par le groupe d'assurances Axa, il saisit la juridiction judiciaire se fondant sur la responsabilité du fait des choses (art. 1242, al. 1er, C. civ.).

Le jugement rendu le 24 janvier 2025 par le tribunal judiciaire de Nanterre (6e chambre civile, n° 22/08639) rappelle les exigences juridiques liées à la garde et à la signalisation des installations dans les établissements recevant du public. En l’espèce, la poutre à l’origine d’un dommage corporel engage la responsabilité de la librairie et de son assureur, Axa France IARD.

La responsabilité du fait des choses

La demande du client reposait sur le régime de responsabilité du fait des choses. Pour que cette responsabilité puisse être engagée, la jurisprudence exige que la chose ait été l’instrument du dommage et, s’agissant d’une chose inerte, qu’elle se soit trouvée dans une position anormale ou ait présenté un caractère intrinsèquement dangereux.

Or la poutre litigieuse était installée à une hauteur inférieure à la taille de la victime (1,91 m), sans qu’aucune signalisation apparente – bande fluorescente ou marquage coloré – ne permette aux usagers de la repérer. Bien qu’un boudin en mousse ait été positionné sur l’arête, celui-ci n’était ni suffisant, ni distinctif, ce qui a conduit le tribunal à retenir le caractère anormal de l’agencement.

L’absence de faute de la victime

De manière classique, l’assureur Axa France IARD, en défense, soutenait que la victime aurait dû faire preuve de vigilance, compte tenu de sa grande taille, et que sa propre imprudence aurait contribué au dommage. Le tribunal écarte fermement cette analyse : la taille du client, bien que légèrement supérieure à la moyenne, ne constituait ni une imprudence, ni une circonstance exonératoire au sens de l’article 1242 du Code civil.

Le juge souligne qu’aucun comportement fautif ou inadapté ne pouvait être reproché à la victime, laquelle ne disposait d’aucun élément de signalisation lui permettant d’anticiper l’obstacle.

Une réparation complète du préjudice

Sur le plan probatoire, le tribunal a retenu la valeur des échanges de mails et des constats médicaux initiaux, même en l’absence de témoignage direct, pour établir le lien de causalité entre la poutre et le dommage.

Enfin, le tribunal s’est fondé sur le rapport du médecin expert désigné judiciairement pour indemniser la victime à hauteur d’environ 10 000 euros.

Cette décision rappelle la rigueur du régime de responsabilité du fait des choses inertes dans les lieux ouverts au public. Elle rappelle que le seul fait pour un objet inerte de se trouver sur un parcours accessible au public, sans signalisation visible, suffit à engager la responsabilité du libraire, dès lors qu’un dommage en résulte. L’absence de preuve de conformité à une norme ne suffit pas à exonérer de la vigilance élémentaire requise pour sécuriser les lieux. Elle rappelle aussi que la faute de la victime, pour être exonératoire, doit être prouvée et constituer la cause exclusive du dommage, ce qui suppose un comportement anormal, ce que la grande taille ou l’absence de vigilance passive ne sauraient suffire à caractériser.

Morale de l’histoire : Qu’on soit petit ou grand, il faut prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurité des clients.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

Les dernières
actualités