L'appel d'offres pour organiser le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême (FIBD) entre dans sa phase finale. Au moins cinq candidats sont en lice pour devenir à partir de l'édition 2028 le nouveau prestataire de cette prestigieuse manifestation minée depuis plusieurs années par divers dysfonctionnements (plainte pour viol, management toxique, soupçons de népotisme, dérive marketing).
Face à la société 9e Art + qui détient le mandat depuis 2007, ses challengers sont Paris Livres Événements, filiale du Syndicat national de l’édition (SNE) en charge du Festival du Livre de Paris, la Cité internationale de la BD et de l’image, située à Angoulême, et Visiona, la société organisatrice du Comicon Napoli. Céline Bagot, fondatrice du Pop Woman Festival de Reims, s'est de son côté associée à Côte Ouest, agence du groupe Sud-Ouest qui organise des événements dans la région de Bordeaux.
Transparence et équité
En attendant l'oral des trois finalistes, qui se tiendra ce vendredi 31 octobre, aucun candidat ne souhaite pour l’heure commenter l'information de L'Humanité selon laquelle 9e Art + est « donnée favorite » pour « s'autosuccéder ». « J'entends les mêmes rumeurs que tout le monde aussi bien médiatiquement que de l’intérieur du milieu de la bande dessinée et des manifestations culturelles », indique à Livres Hebdo Pierre-Yves Bérenguer, patron de Paris Livres Événements. « On va garder le bénéfice du doute. Tant que la chose n'est pas avérée, il n'y a pas objet de la commenter », poursuit-il.
Pierre-Yves Bérenguer déplore cependant un processus « opaque » de la part de l’association FIBD, la propriétaire de la manifestation, qui organise l'appel d'offres. Lui-même ignorait encore lundi quand il serait prévenu pour l'oral des finalistes. « Les critères de sélection sont étonnamment secrets. J'ai demandé à la présidente [de l'association Delphine Groux]. Il m'a été répondu qu'elle n'avait pas à les transmettre. Ce n'est pas fait pour rassurer. Tout le milieu souhaitait être rassuré sur la transparence et l'équité de traitement des candidats. Toutes ces décisions vont à l'encontre du fait d'apaiser les soupçons et l'ambiance générale qui est déjà délétère. »
Responsabilité des pouvoirs publics
D'autant que la proposition de nommer une personne indépendante de l'association FIBD, pour garantir la neutralité du processus de mise en concurrence, a déjà été rejetée il y a quelques semaines. Pierre-Yves Bérenguer en appelle désormais à la responsabilité des pouvoirs publics pour « prendre la main sur cette mise en concurrence ». « Ils mettent quand même 2,5 millions d'euros sur l'opération, ce qui avoisine les 50 % du budget, d'après le déclaratif de l'opérateur actuel. »
Chacun des dossiers déposés prône l'apaisement. Président de Visiona, et par ailleurs agent de Milo Manara et Tanino Liberatore, Claudio Curcio désire ainsi renouer le contact avec la Cité de la BD, en froid avec les organisateurs du FIBD depuis des années pour des questions de gérance de l'événement. Une brouille qui pénalise selon lui la manifestation. « C'est un lieu très important dans notre projet. Je n'ai jamais compris leur rivalité. »
Ancienne salariée du FIBD pendant une quinzaine d'années, où elle a occupé de nombreux postes dont celui de directrice de la communication, Céline Bagot préconise aussi un retour du dialogue entre tous les différents acteurs du milieu pour « ne pas abîmer davantage l'image du festival » et lui redonner sa « dimension festive ». « Il faut montrer que c'est un événement qui a envie de travailler avec les auteurs et les autrices. On ne peut pas continuer à faire grandir ce festival sans la confiance d'une profession », insiste-t-elle.
Le lauréat connu le 8 novembre
Dans un contexte de baisse des ventes, le festival doit plus que jamais rendre compte de « la diversité du médium » pour capter le jeune lectorat et les familles, insistent tous les candidats. « On s'est tenu au courant des changements d'intérêt du public, ce qui est quelque chose dont le festival a besoin », insiste Claudio Curcio. Chaque année, il attire plus de 180 000 visiteurs, 400 exposants et 300 auteurs au Comicon Napoli. « Il faut se tourner vers l'avenir de la bande dessinée, acquiesce Céline Bagot. La BD a besoin de la caisse de résonance qu'offre le festival. »
Le lauréat sera désigné le samedi 8 novembre. Le résultat, quel qu'il soit, ne devrait malgré tout pas désamorcer les tensions. Plusieurs syndicats et organisations d'auteurs (Ligue des Auteurs Professionnels, Collectif des Créatrices de BD contre le sexisme) ont appelé au boycott de la 53e édition en janvier 2026. Et certains éditeurs indépendants (L'Association, 6 pieds sous terre et Même Pas Mal) ont déjà fait savoir qu’ils ne se rendraient pas en Charente tant que le festival ne sera pas « sûr et inclusif ». Sans oublier le choix du Grand Prix de cette année, Anouk Ricard, de se désolidariser de l’événement. Une décision largement soutenue par ses pairs.
