Les librairies occitanes tirent la sonnette d’alarme. Dans un communiqué diffusé le 2 septembre, l’Association régionale des librairies indépendantes d'Occitanie (Alido), qui regroupe près de 60 enseignes, dénonce l’arrivée « récente ou imminente » de plusieurs grandes surfaces culturelles en zone périphérique.
Elle les tient notamment pour responsables de l’appauvrissement des centres-villes, facteur majeur de la fragilisation croissante de l’équilibre économique des librairies locales.
« Le développement des grandes surfaces commerciales en périphérie de certaines villes aggrave la désertification des centres-villes déjà en souffrance, et précipite la fragilisation des librairies indépendantes présentes sur ces territoires », affirme ainsi l’association.
Parmi les enseignes ciblées, l’Alido mentionne la Fnac de Muret — laquelle a, après la diffusion du communiqué de presse, démenti les déclarations du maire de la ville qui avait annoncé son installation au centre commercial des Portes des Pyrénées.
« On est plutôt soulagés, mais on reste vigilants vis-à-vis des autres implantations prévues », fait valoir Clara Mouchès, coordinatrice de l'association, auprès de Livres Hebdo. Et pour cause, projet en gestation, la Fnac de Montauban est également pointée du doigt par l'organisme, tout comme la récente inauguration d’un Cultura à Blagnac et l’arrivée d’un nouveau magasin à Perpignan, d'ici à la fin de l’année.
Les librairies indépendantes locales mises en danger
Pour étayer son inquiétude, l’organisme s’appuie sur les premiers impacts constatés après l’implantation récente de certaines grandes surfaces : « Depuis l’automne 2024, les librairies de Blagnac, Grenade et Colomiers, Mondonville, voire celle de Pibrac ont été durement affectées par l’ouverture du Cultura à Blagnac. Les baisses de chiffres d’affaires constatées vont jusqu’à 20, voire 28% ».
Avec des marges faibles et une rentabilité moyenne de seulement 1 %, la librairie figure parmi les commerces les plus précaires de France.
Une vulnérabilité aujourd’hui exacerbée par la sévère crise économique qu’elle traverse. Si, de son côté, l’Alido invoque une « baisse du pouvoir d’achat » et une « tendance à la baisse de la lecture, en particulier chez les jeunes » pour expliquer la précarisation croissante du secteur, ces éléments ne suffisent cependant pas à traduire l’ensemble des causes de la fragilisation des librairies.
Une économie de plus en plus fragile
« L'économie des librairies est très fragile, il ne faut pas grand-chose pour qu'elle bascule. Ce "pas grand-chose" est arrivé avec l'inflation, la hausse des charges et un effet ciseaux qui nous touche de plein fouet », relatait ainsi Alexandra Charroin-Spangenberg, cogérante de la librairie de Paris (Saint-Etienne) et présidente du Syndicat de la librairie française (SLF), dans une interview publiée dans le numéro 56 de Livres Hebdo.
Déjà engagée quelques mois auparavant, lors de la mobilisation d’un collectif de 16 librairies ligériennes contre l’installation d’un Cultura à Villars, Alexandra Charroin-Spangenberg expliquait alors sur France Bleu que l’ouverture d’une grande surface culturelle en France provoquait systématiquement une baisse notable du chiffre d’affaires des librairies voisines.
Grâce au soutien des habitants et de leurs municipalités, les libraires ont finalement obtenu, de la part des commissions départementale et nationale, le rejet du projet.
Pour alerter sur la détérioration de leurs conditions, les professionnels du secteur de la librairie prennent en effet de plus en plus la parole publiquement. Certaines, soutenues par une communauté fidèle sur les réseaux sociaux, exposent ouvertement leurs difficultés financières, sollicitant le soutien de leur clientèle à travers le lancement de campagnes participatives.
La fermeture comme épée de Damoclès
Pour l’association des libraires indépendants d’Occitanie, l’enjeu est avant tout d’agir « avant que les décisions ne soient prises sans que nous ayons eu notre mot à dire ». Si elle ne s'attend pas à l'abandon du projet, comme ce fût le cas à Villars, l’organisation espère toutefois « sensibiliser le grand public, peser dans les décisions, ralentir le processus ou, à tout le moins, ouvrir un espace de discussion », précise Clara Mouchès.
« Ces implantations peuvent être très graves pour les librairies indépendantes. Certaines peuvent être amenées à fermer », soutient la représentante. Dans son dernier baromètre, le Centre national du livre (CNL) relève une hausse des fermetures de librairies : une trentaine seulement avaient été recensées entre 2017 et 2022, contre 60 en 2023 et plus de 70 en 2024.
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Le phénomène, qui s’est intensifié ces derniers mois, devient d’autant plus préoccupant qu’il touche désormais des enseignes historiques, implantées de longue date à l’instar de la librairie parisienne BDnet ou de la lyonnaise Raconte-moi la Terre.
Et tandis que les grandes surfaces culturelles poursuivent leur expansion en périphérie, l’avenir des librairies indépendantes, véritables piliers du tissu culturel local, demeure quant à lui incertain.