Un partout, balle au Conseil d’État : la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par ce dernier après la saisine d’Amazon sur le décret relatif au prix plancher des frais de port, a rendu son arrêt semblant favorable à l’application du décret, mais Amazon peut encore espérer voir le texte être retoqué devant la haute juridiction de l'ordre administratif.
« C’est une décision historique », s’est réjoui auprès de Livres Hebdo Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la Librairie Française. Le SLF s'est félicité de l'arrêt de la CJUE, y voyant « une décision d'une portée essentielle et inédite pour la loi Darcos et, au-delà, pour les politiques culturelles dans leur ensemble ».
Le syndicat souligne que la Cour a écarté l'application des directives européennes sur le commerce électronique et les services invoquées par Amazon, considérant qu'elles ne s'appliquent pas à une mesure nationale « destinée à promouvoir la diversité culturelle et linguistique et à assurer la défense du pluralisme ».
Amazon « pleinement mobilisé »
De son côté, Amazon, à l’origine de la plainte, a salué une décision qu'il juge « confirmer le bien-fondé de ses inquiétudes » sur la légalité de l'arrêté imposant depuis octobre 2023 un tarif minimal de 3 euros pour la livraison de livres.
Le géant du numérique s’appuie notamment sur une autre partie de l’arrêt de la haute juridiction européenne, qui a considéré que la mesure française devait être examinée au regard du droit primaire de l'Union, et plus précisément des règles sur la libre circulation des marchandises. L'arrêté des frais de port affecte le prix global de vente du livre, qui reste une marchandise, et vise spécifiquement les détaillants.
Point crucial pour le secteur : la Cour a jugé que l'imposition de tarifs minimaux pour la livraison ne constitue pas une simple « modalité de vente » échappant d'emblée aux restrictions européennes. Les règles relatives à la livraison des marchandises ne relèvent pas de cette catégorie juridique protectrice.
Surtout, bien que s'appliquant formellement à tous les détaillants, la mesure pèse particulièrement sur la vente à distance. Elle affecte davantage les opérateurs établis dans d'autres États membres et entrave l'accès au marché français des livres en provenance d'autres pays de l'UE.
Un impact disproportionné sur la vente à distance
Dans une communication offensive, Amazon affirme que cette mesure a « déjà coûté plus de 100 millions d'euros aux Français » et impacte « leur pouvoir d'achat et l'accès aux livres, en particulier dans les petites villes et zones rurales ». Amazon s'appuie sur une étude Ifop qu’il a commandée selon laquelle 62 % des acheteurs estiment que la hausse des frais de port affecte leur pouvoir d'achat, et 44 % déclarent réduire leurs achats de livres.
Le distributeur souligne également le recul du nombre de lecteurs en 2024 (2,6 millions d'acheteurs perdus selon GfK), dont la moitié seulement se serait reportée vers d'autres circuits.
Amazon, qui indique que près d'un livre sur deux vendu sur sa plateforme provient de communes de moins de 10 000 habitants, se dit « pleinement mobilisé » pour obtenir du Conseil d'État l'annulation définitive de la mesure.
Le SLF n’a pas la même vision. L’organisation s'appuie sur le rapport d'évaluation gouvernemental qui contredit, selon lui, les « allégations d'Amazon ». Ce rapport affirmerait que les frais de port minimaux ont stimulé les achats en commerces physiques, favorisé une plus grande diversité d'acteurs en ligne, encouragé l'équipement numérique des libraires, et n'ont « pas pénalisé la vente de livres neufs » ni « évincé certaines catégories sociales ». Le SLF annonce qu'il continuera de défendre la loi Darcos pour « assurer une concurrence équilibrée entre détaillants et un large accès du public au livre ».
L’enjeu est maintenant de répondre à cette question : La mesure peut-elle être justifiée malgré sa qualification de mesure d'effet équivalent ? Cette appréciation revient au Conseil d'État, qui devra déterminer si l'objectif de préservation de la diversité culturelle et du réseau de librairies indépendantes justifie l'atteinte à la libre circulation.
