À la veille de Noël, Libération a mené une enquête approfondie sur les catalogues en ligne de plusieurs grandes enseignes comme la Fnac, Cultura et Amazon, révélant la présence d’ouvrages racistes, antisémites, négationnistes, complotistes, et même de livres explicitement interdits par la loi française, proposés à la vente sur leur site ou via leur marketplace.
Des livres interdits encore référencés
Selon les informations de Libération, Cultura proposait notamment sur son site plusieurs ouvrages de Robert Faurisson, figure centrale du négationnisme français, ainsi que Les Carnets de Turner du néonazi américain William Luther Pierce, texte suprémaciste interdit en France en raison de son apologie de la violence raciste et antisémite. Autre titre prohibé repéré : L’Ordre SS – Éthique & idéologie d’Edwige Thibaut. Alertée par le quotidien, l’enseigne a retiré ces références.
L’enquête met également en lumière la disponibilité, en rupture de stock mais toujours référencée en ligne, du manifeste d’Anders Breivik, terroriste d’extrême droite responsable des attentats de 2011 en Norvège, sur les sites de Cultura et de la Fnac.
Fnac, Amazon : entre cadre légal et angles morts
Du côté de la Fnac, Libération a identifié plusieurs titres antisémites toujours disponibles, parmi lesquels Les Protocoles des Sages de Sion, texte dans lequel François Brigneau fait l’éloge de Robert Faurisson. La directrice des relations médias du groupe Fnac Darty, Bénédicte Debusschère fait valoir dans Libération la « vigilance » et assure également que « si un ouvrage est interdit à la vente, il est aussitôt retiré », tout en reconnaissant que des « trous dans la raquette » sont possibles compte tenu d’un catalogue revendiquant près de 20 millions de titres.
Amazon apparaît, selon Libération, plus rigoureux sur les ventes directes depuis un précédent scandale en 2019, mais reste exposé via sa marketplace. Des ouvrages interdits, comme Les Mythes fondateurs de la politique israélienne de Roger Garaudy ou L’Holocauste au scanner de Jürgen Graf, y ont été proposés par des vendeurs tiers avant d’être retirés après les sollicitations du journal.
Interrogé par Libération, la firme américaine a répondu en ces termes : « Nous disposons de règles relatives au contenu qui régissent les livres pouvant être mis en vente. Nous enquêtons rapidement sur tout ouvrage dès lors qu’une préoccupation est soulevée et procédons actuellement à un examen des titres en question. Nous investissons un temps et des ressources considérables pour garantir le respect de nos règles, et retirons les livres qui ne s’y conforment pas ».
Un problème structurel de la chaîne du livre
Également interrogé par Libération, le directeur marketing de Cultura Aurélien Rousseau assure que l’enseigne « condamne toute forme de racisme, d’antisémitisme et de négationnisme » et évoque un dysfonctionnement structurel lié au web et aux outils de référencement, en particulier le Fichier exhaustif du livre (FEL), alimenté par les éditeurs. Il souligne l’absence d’une base centralisée des ouvrages interdits, appelant à une réflexion interprofessionnelle avec le ministère de la Culture.
Sur les ouvrages haineux non interdits par la loi, les distributeurs se montrent, selon les termes de l’article « plus attentistes ». « On ne peut pas faire de refus de vente », avance Cultura, qui dit ne pas les mettre en avant, mais s’en tenir au strict cadre légal.
Le ministère de l’Intérieur va saisir la justice
Toujours selon Libération, le ministère de l’Intérieur Laurent Nuñez, alerté par ces révélations, a annoncé son intention de saisir la justice sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale pour les livres interdits mis en vente. L’article dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
La question de la responsabilité éditoriale des distributeurs
L’enquête relance un débat ancien dans la profession : celui de la curation des catalogues et de la responsabilité des grandes plateformes culturelles. Si le retrait d’un ouvrage interdit est une obligation légale, Libération souligne que le retrait de contenus racistes ou haineux non prohibés reste un choix éditorial, que certaines enseignes assument peu ou pas, au nom du refus de la censure.
Le quotidien évoque l’exemple du magazine d’extrême droite La Furia auquel la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) a décidé de retirer l’agrément en juillet suite à une plainte de SOS Racisme pour « diffamation raciale publique, provocation publique à la haine et à la violence ». Alerté par le collectif, Cultura avait alors, par la voix de son avocat, annoncé suspendre la vente et le réapprovisionnement du titre. Le prochain numéro à paraître est pourtant bien proposé en « précommande » sur son site.
Un positionnement qui continue de susciter des critiques, notamment de la part d’associations antiracistes et de représentants syndicaux, et qui interroge la capacité du secteur à concilier liberté de diffusion, responsabilité sociale et contraintes industrielles à l’ère des catalogues massifs et des marketplaces.
Depuis l'enquête
Ce vendredi 19 décembre suite aux allégations portées par le journal Libération, le journal a annoncé dans un nouvel article que certains titres avaient été déréférencés. C'est le cas chez Cultura des Carnets de Turner du néonazi américain William Luther Pierce et de l’Ordre SS : Éthique et idéologie, d’Edwige Thibaut. Du côté d’Amazon, les pages permettant d’acquérir les Mythes fondateurs de la politique israélienne de Roger Garaudy et l’Holocauste au scanner de Jürgen Graf, ont été désactivées ce vendredi.
