Virginie et ses hommes. D'abord il y a le père, Jean-Michel. Un absent très présent. Haut fonctionnaire, passionnément attaché à ses racines basques, séducteur, volage mais empreint d'un sens immarcescible du devoir, colérique et gai à la fois, intellectuel endeuillé d'une gauche vertueuse qui n'aurait pas vendu son âme au marché, un brin anar mais respectueux des soutanes et uniformes... cet homme qui élève les contradictions apparentes au rang des Beaux-Arts ne se laisse pas facilement oublier de ceux qui l'ont connu, de ceux tout aussi nombreux qui l'ont aimé. De toute façon, l'oubli n'est pas trop le genre de beauté de sa fille cadette, Virginie.

Voilà des années que Virginie Bloch-Lainé est l'une des plumes les plus pénétrantes du journalisme littéraire dans notre pays. La lecture de ses articles, recensions et singulièrement de ses portraits en dernière page de Libération laissait espérer la naissance d'un livre tel que celui qu'elle nous propose enfin aujourd'hui, Profils perdus. On empruntera au titre du beau film de Jean Renoir, Elena et les hommes, pour considérer qu'au prénom près, il y a de cela en ces pages. C'est-à-dire quelque chose comme une liberté orpheline et un air à la fois doux et mélancolique qui n'est jamais celui du catalogue. Sont tout de même de la revue, outre le père donc, aussi fée Clochette que statue du Commandeur, un premier amour, père de son fils, un compagnon qui a choisi la nuit. On y distingue aussi une curieuse fascination pour la médecine, pratiquée par un amant, un oncle, un ami algérien... Nulle exhibition de soi tout de même, puisque l'on sait se tenir dans cette famille, mais plutôt une sorte d'enquête sur les zones d'ombre nichées au cœur de la lumière de ces êtres aimés et ici merveilleusement considérés. Une enquête nourrie aussi par les riches lectures de l'autrice, par la psychanalyse, afin de dénouer les fils d'une histoire familiale profondément ancrée dans celle de notre pays et marquée par une double appartenance judéo-chrétienne. De ce désordre fructueux, Virginie Bloch-Lainé fait avec grâce sa pelote. Ce pourrait n'être que passionnant, ce serait déjà pas mal dans le registre du devoir de mémoire. C'est mieux que ça : une cathédrale (une synagogue ?) dévastée. Un bouleversement.