Avant-critique Récit

Laurent Gaudé, "Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé" (Actes Sud)

Laurent Gaudé - Photo © Jean-Luc Bertini

Laurent Gaudé, "Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé" (Actes Sud)

Avec humanité, Laurent Gaudé met en mots l'indicible, les massacres terroristes du vendredi 13 novembre 2015.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 12.04.2024 à 09h00

Une sépulture de papier. Bientôt neuf ans, déjà. Et la vie a repris son cours, et d'autres attentats, d'autres drames ont fait la une des télévisions, les gros titres des journaux, ont déferlé sur les réseaux sociaux. Mais que sont devenus les rescapés des attentats terroristes du vendredi 13 novembre 2015 à Paris ? Cette soirée où des fanatiques islamistes ont massacré, au hasard, les clients des terrasses de bistrots et de restaurants dans le quartier de la République, et décimé la foule qui assistait à un concert de rock au Bataclan. La musique, cette fois, n'a rien pu adoucir. Et comment vivre après ça ?

Un écrivain, Laurent Gaudé, a voulu revenir sur les lieux du crime, comme on dit dans la police. Mais justement pas comme un enquêteur, ni un journaliste. Aucun nom de lieu, juste quelques prénoms : Quentin le pompier de 20 ans, Karim le jeune policier en patrouille avec son commissaire, Mathieu le survivant qui apporte du réconfort à Julie, à même la rue, et la voit mourir entre ses bras. « Ce fut la rencontre la plus importante de ma vie », dit-il. Les autres demeureront anonymes, comme ces jumelles réunies pour fêter l'anniversaire de la cadette de quelques minutes, et tuées ensemble, ou encore cette mère qui, par-delà la mort, s'excuse auprès de sa fille Lila et de son mari Gabriel de les avoir abandonnés. Il va falloir apprendre à vivre sans.

Et puis il y a aussi tous ces gens qui, à leur place, vont jouer un rôle dans la tragédie : les policiers, bientôt relayés par les commandos, exécutant les terroristes pour libérer les personnes prises en otage au premier étage du Bataclan, le médecin aguerri qui les accompagne et doit trier parmi les blessés ceux qui sont sauvables ou non (1, 2, ou 3, inscrit au marqueur sur leur front), les infirmières épuisées rappelées en urgence absolue et qui ne ménageront pas leurs forces, ou encore, à la fin, le réparateur de sinistres, celui qui va devoir nettoyer la salle de spectacle ensanglantée, tout rénover.

Terrasses n'est pas un livre facile à lire, bien que son écriture soit parfaitement limpide, sobre. Il n'a pas dû être facile à écrire, non plus. Mais Laurent Gaudé a pris le temps, et le projet a dû s'imposer à lui comme une nécessité. Mêlant sa pratique de romancier et celle de dramaturge, il a composé un texte choral, en dix séquences comme autant de stations d'un calvaire, qui reconstitue chronologiquement les événements, de l'avant à l'après. Se succèdent séquences à la troisième personne et d'autres à la première, si bien que parfois on ne sait plus trop qui parle. Certains personnages scandent le récit, comme ces deux femmes dansant ensemble et échangeant un long, et ultime, baiser. D'autres n'apparaissent qu'une fois. Laurent Gaudé tisse ses fils avec le métier d'un artisan aguerri et respectueux. Aucun pathos, une grande dignité, et cette volonté d'« assumer le plus possible d'humanité », comme disait Gide. Ce souci, également, de témoigner à sa façon. Car s'il est normal que la vie ait repris, l'oubli, lui, demeure impossible.

Laurent Gaudé
Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé
Actes Sud
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 14,50 € ; 144 p.
ISBN: 9782330189143

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