Toute la littérature de l’imaginaire tient en ces deux mots : « Et si ». La 25e édition des Utopiales, qui a rassemblé quelque 153 000 festivaliers du 31 octobre au 3 novembre derniers, s'est quant à elle posée la question suivante : quelle science-fiction écrire aujourd’hui ?
« Je ne pense pas que la dystopie puisse faire changer les consciences. Ça fait des décennies que ce genre donne des clés, et a échoué. Il ne faut certes pas désespérer les jeunes lecteurs, mais il ne faut pas leur promettre trop de choses car cela crée des quadras aigris, qui sont aujourd’hui dans la destruction », a martelé Estelle Faye, autrice des Nuages de Magellan (Scrineo), également indignée contre la dark romance : « C’est un genre problématique, qui conforte des comportements sexistes et toxiques, et c’est marketé pour être vendu à des enfants de 10-11 ans qui sont appelées "jeunes filles". Les libraires qui n’ont pas le temps de lire mettent ça en jeunesse ! »
Utopies ?
Alain Damasio a de son côté appelé à fermer la « parenthèse cyberpunk » qui a inspiré la Silicon Valley, laquelle parvient désormais « à enfermer les gens dans des cocons technologiques, et à déplacer vers le numérique les liens d’amitié et d’amour pour les contrôler et y faire de la plus-value ».
Et de citer son roman Les Furtifs (La Volte), qui répond « politiquement et littérairement » à cette société des traces. Une « bio-punk » chantant le lien entre l’humain et la nature, comme dans La Horde du Contrevent, où les personnages doivent affronter et épouser la force vitale du monde (sur)naturel. Mais attention aussi au genre de l’utopie, comme le rappelle l’une des organisatrices du festival, Eva Sinanian : « L’utopie de l’un peut être la dystopie de l'autre ».
SF spirituelle
Pour s’ouvrir à d’autres types de conscience, l’écrivain peut s’inspirer de la pensée des autochtones, suggère Silène Edgar, proche de la vision cosmique du monde de Pierre Bordage, qui invoque l’image du big-bang pour rappeler que toute chose vient du même noyau. « Alors pourquoi se battre entre nous ? » Et l’auteur des Guerriers du silence, également présent, d’expliquer : « L’écriture est un fil d’Ariane qui m’emmène dans un labyrinthe où je vois des choses que je ne voudrais pas voir. J’écris pour explorer toutes les facettes de l’humain, voir ses monstruosités et chercher un sens à la vie humaine. Et le space opera me permet d’aller au cœur de l’univers ».
Réparer les « erreurs » commises par la SF
À revers de blockbusters vidés de tout propos critique sur le monde, Catherine Dufour propose une SF qui mêle prospective scientifiquement documentée et « pénétrante ». Des films font miroiter une vie possible sur la Lune ? Dans une masterclass mêlant pédagogie et humour, l’autrice des Chants de la Lune, paru le 26 septembre chez Robert Laffont, brise le rêve : la poussière lunaire (régalithe) érode les scaphandres, la buée aveugle le spationaute obligé de boire sa sueur, la perte de masse musculaire limite les bonds pourtant libérés d’une lourde gravité… Puis l’autrice creuse sa pensée en glissant vers la SF, imaginant des chiens parlant grâce à un implant et une langue qui leur ressemble. Une SF anthropologique à la Ursula Le Guin, honorée à plusieurs reprises au cours du festival.
SF féministe
L’occasion de rappeler l’importance d’entendre des voix non-masculines pour entendre une diversité d’intelligences. Après une décennie de réflexion, les éditions Argyll ont présenté leur collection de novellas « RéciFs », dédiée aux autrices de l’imaginaire — et dont le planning est presque plein jusqu’en 2026. « Beaucoup d’autrices de SF ont été invisibilisées, comme l’Américaine Judith Merril, dont les seuls romans publiés en France ont été co-écrits avec un homme », s’ahurit l’éditeur-libraire-auteur Xavier Dollo. Erreur réparée.