Cité des Congrès de Nantes, festival des Utopiales 2024 sur le thème de l'Harmonie. - Photo Fanny Guyomard
Les Utopiales 2024 interrogent la norme
Dépassant les frontières du genre littéraire, la science-fiction a rassemblé un large public au festival des Utopiales de Nantes, du 30 octobre au 3 novembre. Une vitrine de plus en plus large pour les auteurs, invités à s’exprimer sur le sujet politique de l’harmonie et de la dissonance.
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Fanny Guyomard Créé le
02.11.2024
à 19h57, Mis à jour le 11.11.2024 à 09h03
À quelques jours de l'élection présidentielle américaine, le festival de science-fiction des Utopiales, grand rendez-vous de réflexion politique, avait une saveur particulière pour cette édition affichant le thème de l’harmonie. « C’est un super sujet. Nous vivons des moments forts en tensions — la situation géopolitique du monde, les clashs sur les réseaux sociaux, l’IA générative qui fracasse des emplois, des Elon Musk qui subventionnent des abrutis fachos comme Trump… La droite cherche certes l’harmonie, mais en cherchant à écraser les différences. Alors qu’il faut les accorder musicalement, accepter des gens qui ne sont pas comme nous, étrangers, non-binaires », a introduit l’auteur star Alain Damasio dans une masterclass régulièrement entrecoupée d'applaudissements. Un public aux cheveux de toutes les couleurs levant en nombre la main pour poser ses questions aux presque 300 intervenants réunis à Nantes du 30 octobre au 3 novembre.
« La SF est un espace de réflexion vers une société en harmonie. Les littératures de l’imaginaire dépeignent les angoisses contemporaines, et l’une des voies de la SF est de créer de l’espoir, de sortir de la dystopie quotidienne », s’est accordé Nicolas Martin au micro de Marie Labory, qui l'interrogeait en direct pour France Culture. L’ex-journaliste scientifique a publié Au diable vauvert son premier roman, Fragile/s, qui interroge la notion de norme — comme celle de devoir aimer son enfant à tout prix, ou celle de la « bonne » santé conduisant à rejeter le « handicap ». « La créature de Frankenstein, c’est elle la victime. L’anormalité, c’est cool. J’aime les monstres, comme le titre Emil Ferris ! ». Laquelle signe l’affiche de cette édition faisant la part belle à l’horreur en plein boom outre-Manche.
Nouvelle direction artistique
Eva Sinanian, la libraire des Mots à la bouche (spécialisée dans les cultures LGBTQI+) et l’une des quatre membre du comité- Photo FANNY GUYOMARD
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C’est l’un des genres chouchou de la direction artistique, confiée cette année (et pour celles à venir) à un quatuor. Une configuration critiquée, ou louée par les intéressés : « C’est une richesse d’être quatre, d’avoir réfléchi collectivement aux lectures et auteurs que nous évoquait ce thème de l’Harmonie, pour ensuite proposer des tables rondes », défend Eva Sinanian, la libraire des Mots à la bouche (spécialisée dans les cultures LGBTQI+) et l’une des quatre membre du comité, avec Nicolas Martin, l’éditeur chez Atalante Yann Olivier (et bénévoles aux Utopiales depuis ses 14 ans) et l’autrice Floriane Soulas, lauréate du prix Utopiales 2022.
Un prix dont les modalités d’organisation n’ont pas changé depuis ses débuts, n’en déplaise aux critiques : les éditeurs proposent deux titres, disponibles le 15 juillet pour être lus par les libraires de la France entière. Il a été remis cette année à Marge Nantel pour son roman Code Ardant (éditions Mnémos).
Élargissement de la SF
De quoi lui assurer de jolies ventes ? « On pâtit encore d’un manque de visibilité dans les médias généralistes. Les quelque fois où ils parlent de SF, c’est pour citer des éditeurs généralistes, par paresse et inculture », regrette Mathias Echenay, fondateur des éditions La Volte.
Reste que les frontières entre SF et littérature généraliste sont de plus en plus poreuses. Pour ses 50 ans, la revue canadienne Solaris a sorti un numéro spécial avec des auteurs qu’elle n’a jamais publiés et « qui naviguent entre littérature générale et d’imaginaire », présente Pascal Raud, codirecteur en chef de la revue. « Les auteurs du non-imaginaire, il faut leur dire de venir, de partager notre amour de l’imaginaire, il y a toujours de la place », poursuit-il.
La revue signale néanmoins sa difficulté à publier davantage d’auteurs non Canadiens : pour bénéficier des subventions étatiques, elle ne doit pas dépasser les 25 % de contenu étranger. « S’arrêter à nos frontières, c’est anti-SF ! Plus il y a de diversité, mieux c’est ! », proclame Pascal Raud.
Masterclass d'Alain Damasio aux Utopiales 2024- Photo FANNY GUYOMARD
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La communauté s’élargit, rejoint Nicolas Martin. « La littérature blanche accueille l’imaginaire », rappelle-t-il, citant L’anomalie d'Hervé Le Tellier (Gallimard), dont les ventes cumulées en grand format et poche atteignent le million et demi d'exemplaires.
Il avance aussi cette triste plaisanterie : « La dystopie est sortie du rayon SF pour rejoindre le rayon actualité ! ». Parallèlement, la SF s’ouvre davantage. « Une partie de la SF est très "mascu", mais de plus en plus d’auteurs sont issus de la diversité et repensent par exemple la notion de héros — voire font des romans sans héros. Les littératures de l’imaginaire sont de vrais espaces d’inclusivité. » Avec de plus en plus de festivaliers chaque année.
Alain Damasio, épaté par l’auditorium noir de monde pour sa masterclass, s’extasie d’ailleurs : « Je me souviens des "Utos" en 2001, des gens pensaient encore que la SF était un genre mineur. Mais c’est fini ». Ce qui a aidé ? La crise du narcissisme, avance-t-il : « La SF n’a jamais cessé d’interroger la spécificité des humains sur l’animal et la machine. Mais on se rend compte que ça ne tient plus : les oiseaux créent, les éléphants ont des rites, l’IA générative parle. Plus grand chose ne nous différencie des animaux et des machines. »
Succès
Des machines qu’on entraîne aujourd’hui à se comporter comme des blobs, créatures unicellulaires capables de trouver le chemin le plus court vers la nourriture, donc à proposer par exemple les réseaux ferroviaires les plus efficients – l’objet de l’un des 137 rendez-vous mêlant littérature et science.
Quand il ne s’y entassaient pas, les festivaliers se sont massés dans la librairie de la cité des Congrès, saturée. « Un festival, c’est ultra-crucial pour donner la parole à des auteurs devant un public et faire travailler les libraires. Ça crée un engouement. On vend toujours plus de livres d’un auteur qui participe à des festivals », se réjouit Jérôme Vincent, directeur des Nouvelles éditions ActuSF.
Les festivals de l’imaginaire se sont d'ailleurs multipliés ces dernières années : Les Hypermondes à Mérignac (depuis 2021), Étrange-Grande (depuis 2022), L’Ouest Hurlant (2022), Sirennes (2022), Trolls et Légendes devenu annuel… Les Utopiales, « c’est le plus vieux et le plus gros, mélangeant scientifiques, livres et cinéma ». Tout en harmonie et résonance.
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