Interview

Olivier Girard (Le Bélial') : « En imaginaire, la surproduction générale endémique broie les indépendants, éditeurs et libraires »

Olivier Girard, directeur éditorial des éditions du Bélial - Photo Olivier Dion

Olivier Girard (Le Bélial') : « En imaginaire, la surproduction générale endémique broie les indépendants, éditeurs et libraires »

À l'occasion du Mois de l'imaginaire, Livres Hebdo s'est entretenu avec Olivier Girard, fondateur des éditions du Bélial', spécialisées en littératures de l'imaginaire et qui publient également la revue Bifrost. L'occasion pour l'éditeur de faire part de ses projets, mais aussi d'analyser les tendances d'un marché caractérisé par une « surproduction générale endémique » et confronté à l'essor de la romantasy.

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Par Louise Ageorges, Charles Knappek
Créé le 25.10.2024 à 16h20

Livres Hebdo : Comment se passe l’année 2024 pour Le Bélial' ? 

Olivier Girard : L’année en cours se passe pour l’heure remarquablement bien. À fin août 2024, si nous comparons avec fin août 2023, notre chiffre d'affaires est en augmentation de 25,4 % pour le papier et de 14,8 % pour le numérique (ce dernier représentant 7 % de notre CA). Il faut voir ce qui se passera sur les quatre derniers mois de l’année, mais disons que les signaux sont au vert. 

« La part du fonds sur notre CA global progresse encore, ce qui est essentiel à mes yeux »  

Notre taux de retour est de 23,3 %. C’est très peu. Trop peu. Nos mises en place sont sans doute un poil trop faibles au regard de nos taux de rotation, mais les libraires sont d’une extrême frilosité. C’est un souci, mais ce n’est pas drastique en ce qui nous concerne dans la mesure où nous n’avons pas besoin des mises en place pour financer nos projets. Les réassorts suivent, c’est tout ce qui compte. On part de plus bas, mais au final je n’ai pas le sentiment que nous perdions des ventes. En revanche, en dessous d’un certain seuil d’implantation, les livres pâtissent en visibilité ; il faut être vigilant à ça. Je comprends l’inquiétude des libraires, mais leur manque de confiance ontologique m’agace parfois un brin. Par ailleurs, la part du fonds sur notre CA global progresse encore, ce qui est essentiel à mes yeux. 

Pouvez-vous nous parler de votre production et de vos meilleures ventes ?

Notre production est stable. Et je me refuse à l’augmenter, hors nouvel espace éditorial dédié, ce qui devrait advenir en 2026, à l’occasion de nos 30 ans, avec la collection « Archive du futur ». Pour ce qui est des meilleures ventes, je ne pense pas que nous en ayons à proprement parler. Parmi les ouvrages qui ont particulièrement bien marché en 2024, je mentionnerai les deux romans de l’auteur britannique Alastair ReynoldsLa Maison des Soleils (avril 2024) et Eversion (février 2023).

Qu'avez-vous mis en place pour le mois de l'imaginaire ?

Nous avons fait deux interventions en médiathèques pour présenter la maison, son parcours depuis 28 ans, et son projet éditorial. Nous ferons également une signature en librairie avec Ray Nayler, au Divan, dans le XVe arrondissement de Paris, le 29 octobre. S'ajoute à ces rencontres une intervention, avec d’autres éditeurs (La Volte, L’Atalante, Le Diable Vauvert et Leha) à L'École de la Librairie, pour présenter nos catalogues à de jeunes libraires. Nous avons également mis en valeur le travail d'Aurélien Police, unique dessinateur de la collection « Une heure lumière ». En effet, pour le mois des imaginaires nous proposons à la vente des tirages grands formats de ses différentes couvertures. Enfin, notre gros rendez-vous sera évidemment le festival des Utopiales à Nantes. Notre auteur Ray Nayler y sera notamment. 

« La romantasy est un segment marketing, un sous-genre artificiel, comme l’a été la bit-lit en son temps » 

Quel regard portez-vous sur un marché où la romantasy progresse encore un peu plus ?

En ce qui me concerne, l’impact de la romantasy est inexistant, en tout cas sur notre travail et ses résultats. D’abord parce que notre public n’est pas concerné par ce segment. Je ne pense d’ailleurs pas que la romantasy ait un rôle majeur sur les baisses des mises en place (ce phénomène de baisse est bien antérieur). La romantasy est un segment marketing, un sous-genre artificiel, comme l’a été la bit-lit en son temps. Cela correspond à une attente, bien sûr, mais il y a toujours eu de la romance en fantasy (la romance est structurellement maillée au genre, il suffit de se replonger dans la matière de Bretagne pour s’en convaincre). 

Quel impact la romantasy a-t-elle pour les petites maisons d'édition d'imaginaire comme la vôtre, notamment s'agissant des mises en place en librairie ?

L’avènement de cette « marketisation » a pour conséquence de générer une production spécifiquement dédiée qui « travaille » avant tout cet aspect. Et qu’il faut bien placer en librairie, c’est l’évidence. Sans doute cela prend-il de la place sur le linéaire dédié à la fantasy classique. Sur le polar aussi, d’après ce que j’ai pu constater. Voire sur la littérature étrangère au sens large, qui me semble globalement bien à la peine. Mais ça me paraît relativement marginal et ce sera temporaire. Les raisons de la baisse des mises en place sont plus structurelles et profondes à mon sens, et la romantasy est une goutte d’eau dans la surproduction générale endémique qui broie les indépendants, éditeurs et libraires.

« Bifrost est le clou sur lequel nous accrochons l’ensemble du programme de parution du Bélial’ » 

Un mot sur Bifrost et son évolution sur un marché des mooks d'imaginaire de plus en plus concurrencé (Métal Hurlant, Flaash, Chimères...).

Bifrost ne se positionne absolument pas sur le même segment que les mooks que vous évoquez. D’ailleurs, Bifrost n’est en rien un mook. Bifrost est une revue hyper spécialisée, éclairée et éclairante sur la littérature de l’Imaginaire contemporaine au sens large, et la science-fiction en particulier. La vocation de la revue est triple : créer une anthologie perpétuelle du champ SF à travers ses dossiers trimestriels considérables ; décrypter les mouvements et tendances qui animent le secteur ; publier le meilleur des auteurs contemporains. Comme tout support littéraire exigeant hyper-spécialisé, les ventes de Bifrost sont modestes. Nos tirages évoluent entre 2 000 et 3 000 exemplaires en fonction de nos sujets. Nous avons 1 200 abonnés. Et notre CA en libraire est en progression de 4,7 % sur 2024. Mais Bifrost est le clou sur lequel nous accrochons l’ensemble du programme de parution du Bélial’.  

« Lancer un nouvel auteur au Bélial’ est un processus long qui se traduit dans un nuage de productions » 

Quels sont vos enjeux de la fin de l’année ? 

Lancer un nouvel auteur au Bélial’ est un processus long qui se traduit dans un nuage de productions. Nous publions généralement des nouvelles dans Bifrost. Suivies d’un recueil quand c’est possible, peut-être d’une novella ou deux dans la collection « Une heure-lumière », puis d’un premier roman. Cet ordre peut varier, mais c’est généralement notre méthodologie : générer un nuage littéraire de qualité censé sensibiliser notre lectorat. C’est précisément ce que nous avons fait avec Ray Nayler, auteur américain dont nous avons sorti le 26 septembre le premier roman La Montagne dans la mer, traduit par Henry-Luc Planchat, après plusieurs nouvelles dans la revue Bifrost, puis un recueil, Protectorats, en septembre 2023, qui a remporté le grand prix de l’imaginaire. Ce premier roman, encensé par la critique américaine, n’est pas la fin d’un processus, mais bien entendu un jalon essentiel. Ray Nayler nous accompagnera d’ailleurs pour le lancement de son livre, car il sera des nôtres aux Utopiales de Nantes et pour quelques dates sur Paris. Nous sortons aussi un nouveau livre de Ken Liu, Les Armées de ceux que j’aime le 21 novembre. 

Avez-vous des nouveautés à annoncer en termes de positionnement, de développements ? 

Notre positionnement demeure inchangé. De la SF, principalement. Et la meilleure qui soit. Il nous semble que le monde en a besoin. Besoin d’horizons nouveaux comme de clés pour les enjeux d’aujourd’hui.

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