Interview

Brigitte Leblanc : « Le Rayon imaginaire s’est créé pour être au carrefour des genres »

Brigitte Leblanc, directrice éditoriale du Rayon imaginaire - Photo Olivier Dion

Brigitte Leblanc : « Le Rayon imaginaire s’est créé pour être au carrefour des genres »

À l'occasion du Mois de l'imaginaire, Livres Hebdo s'est entretenu avec Brigitte Leblanc, directrice éditoriale du Rayon Imaginaire chez Hachette Heroes, un label qui fête ses trois ans et vise à rendre l'imaginaire plus accessible grâce à une production « décatégorisée ».

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Par Adèle Buijtenhuijs, Charles Knappek
Créé le 23.10.2024 à 18h47

Livres Hebdo : Comment se passe l’année 2024 pour Le Rayon imaginaire ? 

Brigitte Leblanc : L’année 2024 est marquante à plus d’un titre pour le Rayon imaginaire. C’était tout d’abord l’année du premier prix littéraire du Rayon, le prix Imaginales du roman étranger, pour le somptueux Sauvage, de Joan Mickelson, une immense fierté pour moi de voir reconnu le travail de cette auteure inclassable inconnue et l’exigence qualitative des choix de la maison. Le marché global n’a pas été simple comme chacun le sait. Il paye sans doute, l’incertitude générale de l’année. Mais il vit aussi une forme de mutation peut-être, dans laquelle je lis des mouvements déconnectés : la croissante interpénétration de la blanche et de l’imaginaire. Les frontières se brouillent, les éditeurs généralistes s’y lancent, les propositions ouvertes, inclassables, où des éléments de Fantasy, de fantastique, de SF ou de réalisme magique affleurent voire envahissent des écritures réalistes augmentent. Le Rayon imaginaire s’est créé pour être à ce carrefour depuis le début. Personnellement, je trouve cette « décatégorisation » très heureuse. 2024 était aussi l’année du premier roman d’horreur gothique, Les Possédées, de Joanna Van Veen… car toutes les teintes de l’imaginaire sont dans le Rayon, évidemment.

« L'adaptation du Problème à trois corps rencontre un superbe accueil »

Enfin, publier l’adaptation officielle chinoise, supervisée par Liu Cixin lui-même, du Problème à trois corps en roman graphique était une aventure inoubliable en soi. Le travail est colossal sur cette série, la version originale ayant elle-même mis plusieurs années à être réalisée, et le résultat est là, tant narratif que graphique. Les choix opérés dans le récit, et pour nous, l’adaptation de Gwennaël Gaffric, traducteur du roman, comme garant du respect de l’œuvre, ont porté leur fruit ; la série rencontre un superbe accueil, tant de la presse que du public et les ventes sont excellentes. Le premier tome de la série publié en mars dernier s’est déjà écoulé à plus de 13 000 exemplaires et réimprimé deux fois, le deuxième et troisième tomes sont en cours de réimpression, le quatrième tome est prévu pour novembre prochain et le cinquième pour février 2025. À chaque fois, ces sorties font beaucoup de bruit.

Avec ce succès, allez-vous continuer à développer le format du roman graphique ? 

C’est un sujet auquel je réfléchis mais qui prend du temps. Selon Liu Cixin « la science-fiction ne se comprend complètement que lorsqu’on la voit ». Rien de tel que le dessin, donc, pour rendre accessibles des œuvres plus ardues. De plus, étant moi-même à la tête du catalogue Gautier-Languereau qui publie des de beaux albums pour les enfants, le croisement entre images et textes n’est jamais très loin.

Quelles ont été vos actions durant le mois de l’imaginaire ? 

Le mois de l’imaginaire est l’occasion pour nous de mettre en avant l’œuvre d’Alix E. Harrow - la marraine de la collection - et plus particulièrement son dernier livre Starling House, paru le 2 octobre dernier, qui réinvente complètement le trope de la maison hantée et a été finaliste du prestigieux World Fantasy Award. L’écrivaine est reconnue à l’international avec des ouvrages traduits dans une dizaine de langues. Nous avons également mis en lumière Les possédées, de Joanna Van Veen. Par ailleurs, nous avons organisé une grande journée de réunion avec les libraires imaginaires pour leur présenter notre collection.

« La seule question qui m’intéresse est de savoir comment la romantasy va évoluer et si de très bonnes plumes vont s’emparer »

Quel regard portez-vous sur la romantasy qui progresse encore un peu plus sur le marché de l’Imaginaire ?

Le phénomène de la romantasy, la massive attaque de « love », envahit les rayons comme l’avait fait la romance dans les rayons de littérature générale. On dirait que l’époque a drôlement besoin d’amour et de légèreté. Est-ce que cela accompagne la mutation en cours de la société, je serais incapable d’en juger. Mais il est indéniable que la croissance de l’imaginaire s’est faite sur ce phénomène cette année à nouveau. La seule question qui m’intéresse est de savoir comment cette offre va évoluer et si de très bonnes plumes vont s’emparer de l’exercice pour proposer une approche différente. Ici comme ailleurs, le genre n’est rien en soi, seul le talent et l’originalité profonde comptent à mes yeux. L’offre étant devenue massive, elle devrait inexorablement s’assainir petit à petit. L’inconnue restant quand et ce qui en émergera.

Pouvez-vous nous parler de l’évolution de votre chiffre d’affaires et de votre production ?

Le Rayon imaginaire continue de construire pas à pas son histoire, le chiffre d'affaires en croissance en atteste, autant que la reconnaissance des libraires – qui ont si bien identifié et soutenu la collection depuis le début – et du public, au rendez-vous des curiosités que je lui propose. D'autre part, la collection est jeune - trois ans cet automne - et le nombre de titres est stable, il varie entre 6 et 8 maximum chaque année. Il ne s’agit pas de multiplier les livres, le marché est déjà si riche mais de proposer une petite musique différente et de faire confiance à l’intelligence des lecteurs. Ma collection sert à sortir des étiquettes et rendre les littératures de l'imaginaire accessibles au plus grand nombre.

Quelles sont les nouveautés prévues pour 2025 ? 

D’abord, le mois de mai verra la publication du nouveau livre de Joan Mickelson, Pandæmonium, qui raconte la jeunesse empreinte de magie sombre des Sœurs Brontë - cinq à l’origine, seulement trois d’entre elles sont devenues célèbres après que les deux aînées décèdent de la tuberculose - véritables sources d’inspiration et d’admiration de l’écrivaine. Mais surtout, octobre 2025 réserve une très grosse sortie, L’Oiseau qui boit ses larmes, de Lee Young Do, le « Tolkien coréen », adulé au Pays du matin calme. L’ouvrage écrit au début des années 2000, s’est déjà écoulé à plus de 700 000 exemplaires uniquement en Corée et vendu en 17 langues en l'espace d'un mois. Ce livre majestueux en quatre tomes, puise aux sources des mythologies et croyances coréennes, que l’on ne connaît que très peu en Europe. En parallèle, les studios de jeux vidéo à l’initiative d’Hogwarts Legacy développent actuellement un jeu autour de l’univers de Lee Young Do. Enfin, la Fantasy steampunk fera une entrée originale, savoureuse et unique dans la collection avec Le Chant des noms de Jedediah Berry.

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