Les rencontres internationales de l’écologie pour le livre se sont tenues les 15 et 16 avril à l’Université de Strasbourg. Cette manifestation littéraire clôturait le label Strasbourg capitale mondiale du livre Unesco 2024.
Il s'agissait d'une première pour ces rencontres qui figureront désormais au programme de toutes les prochaines villes désignées capitales mondiales du livre.
« L’urgence climatique s’invite chaque jour dans nos actions et nos pensées, éclaire Anne-Marie Bock, chargée de projet de la ville alsacienne, capitale mondiale du livre. Cet événement a un but fédérateur pour proposer des clés de compréhension sur la chaîne du livre et la question écologique. »

Après un grand dialogue sur le thème « Lire pour la planète » organisé dans la soirée du 14 avril en présence des auteurs Gaspard Koenig, Frédéric Pontarolo et de la climatologue Daphné Buiron, une série de tables rondes et conférences a animé les deux jours de ces rencontres.
Une urgence climatique
Le public s'est vu rappeler quelques éléments clés des derniers rapports du GIEC : l’augmentation de la température de l’air et les catastrophes météorologiques touchent déjà la planète. Tous les secteurs d’activités sont confrontés à des défis, dont celui du livre. Daniel Vallauri chef de programme sur les forêts du WWF France, a ainsi mis en lumière la question des forêts et la nécessaire centralisation sur un même site de la fabrication de la pâte à papier et la transformation en papier, pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie.
Si des normes environnementales existent en Europe comme le RDUE (Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts), les marges de progression sont réelles : aujourd'hui, 14% des livres jeunesse français sont imprimés en Asie (essentiellement les ouvrages complexes comme les pop-ups).
Une surproduction vivement critiquée
Parmi les enjeux environnementaux dans le secteur du livre, la surproduction est particulièrement mise en cause. « Nous avons un modèle qui repose à plus de 80 % sur des produits neufs, expose Fanny Valembois, consultante et formatrice au Bureau des Acclimatations. Mais la durée de vie du livre raccourcit et pousse à la course à la nouveauté. » De fait, plus de 45 000 nouveautés voient le jour chaque année, rappelle Pascal Lenoir, directeur de la production chez Gallimard et président de la commission environnement et fabrication au Syndicat national de l'édition (SNE). Il incite les éditeurs à arbitrer dans leurs choix éditoriaux sur la nécessité ou non de certaines publications.
Lauréat du prix Goncourt 2011 pour L’Art français de la guerre (Gallimard) , Alexis Jenni se dit « effaré » par la surproduction de la rentrée littéraire. « C’est près de 500 livres pour cette rentrée d’automne. Beaucoup ne sont pas médiatisées, perdus dans la masse, vite déréférencés et pilonnés. Ces livres n’existent pas et font juste des allers-retours en librairie. »
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En réponse à ce tsunami de sorties, l’Association pour l’écologie du livre a lancé en 2024 la « trêve des nouveautés » avec une vingtaine de libraires indépendants. « C’est une expérimentation pour mieux fonctionner et arrêter ce flux de nouveautés, expose Olivier Verschueren, gérant de la librairie Livre aux Trésors à Liège en Belgique. Le problème est la quantité de livres en circulation qui a aussi un coût en termes de temps pour la manutention en plus de la marge faible de ces livres de passage. C’est une perte de sens. Donc on a eu l’idée de tout arrêter. »

« On vit mieux et il n’y a pas d’impact sur notre chiffre d’affaires. Le groupe Hachette n’a pas du tout apprécié et le directeur commercial ne nous fournit plus », poursuit Olivier Verschueren. L'initiative qui a des retombées sur les rapports avec la diffusion, même si d’autres groupes et des institutions comme le Syndicat de la libraire française restent curieux et attendent de connaître t les résultats de la démarche.
Pendant les rencontres, plusieurs stands étaient installés autour de l’amphithéâtre pour mettre en avant les initiatives écologiques et/ou locales comme la fresque du livre de Fontaine O livres ou le stand de la librairie Dinali.
Trop en stock
La question du stockage est également mise sur la table, notamment via le projet « Décarboner le livre et l’édition » qui aborde plusieurs problématiques dont le bilan carbone des manifestations littéraires, l’économie de la fonctionnalité avec un abonnement d’un an en librairie pour les 9-12 ans, et le tirage court dynamique.
Avec l’aide de L’École des loisirs, l’objectif du tirage court dynamique est de réduire les stocks pour une meilleure gestion des impressions. À partir d’un ouvrage-type vendu à 2 600 exemplaires pour un tirage de 3 100, la maison étalerait dans le temps ses impressions avec un premier tirage de 700 exemplaires puis six de 400 unités, ce qui permet d'accompagner le livre sur toute sa durée de vie, cinq ans en moyenne. L’objectif est ainsi de réduire l’impact carbone et le prix sur le stockage qui consomme en énergie pour chauffer l’entrepôt et assurer l’activité des salariés.
L'outil de suivi des ventes Filéas récemment créé par le SNE traduit la volonté d’assurer un meilleur parcours des livres et un suivi des sorties caisses qui permettent in fine de calculer les tirages, d'anticiper le stockage et à sa suite le taux prévisible de pilon.
La question du livre d'occasion
Autre problématique, la non-linéarité de la chaîne et le sujet du livre d’occasion : la Sofia a rappelé son étude de 2024 sur le marché du livre d’occasion, ainsi que les récentes annonces du président de la République Emmanuel Macron se disant favorable au principe d'un droit de suite au droit d'auteur pour fournir une rémunération aux auteurs lors de la vente d'occasion de leurs ouvrages.
Aujourd'hui, 20% des librairies interrogées proposent des livres d’occasion, mais seulement la moitié de manière régulière toute l’année. Une telle offre reste tributaire de la demande de la clientèle ; elle permet aussi aux libraires de se positionner comme des acteurs écoresponsables.

Mathieu Macheret, directeur général chez Imprimeur de Champagne, a mis en avant les efforts environnementaux de son secteur avec la suppression de bon nombre de produits chimiques et l’utilisation d’encres végétales et de colles en matière verte, même si moins durable.
L’entreprise Recyclivre est venue présenter son activité de collecte, vente et recyclage de livres, revendiquant cinq millions de livres collectés pour 2 millions revendus et 3 millions recyclés. De plus, la dématérialisation par le numérique ne profite pas à l'environnement. Raphaël Guastavi, directeur adjoint économie circulaire à l’Ademe (agence de la transition écologique), a rappelé que les tablettes et liseuses présentent un coût environnemental plus élevé en raison de leur fabrication requérant de nombreux matériaux issus de l'extraction minière.
Selon leur analyse, la lecture numérique n'amortit son impact environnemental qu'à partir de plus de 10 livres neufs lus par an.
Après une séance de dédicaces des auteurs en lice, le prix du roman de l’écologie a été décerné mardi soir à Corinne Royer pour Ceux du lac (Seuil).

Les bibliothèques, déjà bien concernées et impliquées, sont même inscrites au sein de la politique gouvernementale de la transition écologique, a rappelé Xavier Galaup, ancien président de l'ABF et aujourd'hui formateur indépendant. Petra Hauke, membre fondatrice de la section Ensulib (Environment Sustainability and libraries section), est quant à elle venue conseiller les librairies avec des propositions de Green library, Repair café afin de développer une communauté, et les Library garden.
D’autres projets ont été mis en avant durant ces deux jours de rencontres, dont « Coédition solidaire » qui apporte une aide à différentes problématiques comme la sous-production dans certains pays en raison de l'afflux de titres venant de l’étranger. Un phénomène qui touche l'Afrique francophone, tributaire de la France pour une large part de son approvisionnement et qui s'accompagne de la fuite des auteurs dans certains pays. Le développement de solutions comme la multi-édition adaptée de livres entre différents territoires fait partie des options envisagées pour structurer les marchés nationaux africains.
Enfin, un constat est revenu à toutes les tables : l’écologie ne peut faire l'objet d'actions esseulées. « Il y a besoin de coopération et de solidarité pour maintenir notre secteur d’activité, clame Violaine Chaurand, directrice RSE chez Bayard. Mais il y a malheureusement une culture du secret et un manque de transparence dans le monde de l’édition entre les différents acteurs », déplore-t-elle.