Un désir d'enfant tordu. Les premières pages de La bossue de Saō Ichikawa nous plongent dans une discussion en ligne à propos d'un « H-bar », ou happening bar, appellation des sex clubs au Japon. L'échange dépeint un « trip à trois », entre un commercial trentenaire, une étudiante BCBG style présentatrice télé à la « poitrine XL », et une autre moins plantureuse avec tout autant d'allant. C'est alors qu'au milieu d'une scène érotique où tombe du plafond une pluie de préservatifs, on bute, perplexe, sur les mots « cathéter », « mucosités », « canule trachéale »... avant de réaliser que le thread aux accents salaces qu'on lisait en direct fait partie d'un roman « TL » - « teens' love », fiction ado pornographique - s'écrivant sur Twitter sous le clavier de Shaka, narratrice de ce court roman cinglant.
À l'instar de la lauréate du prix Akutagawa 2023 pour ce premier roman, l'héroïne souffre d'une maladie musculaire congénitale qui la condamne depuis l'adolescence à un fauteuil roulant et à un respirateur. N'empêche, la « monstresse bossue », lourdement handicapée mais riche héritière, nourrit un désir fou qu'elle confie à son auxiliaire de vie : tomber enceinte pour pouvoir jouir du droit d'avorter. Par un raisonnement retors, grinçant d'autodérision, et à travers un dispositif narratif mêlant fantasme sans fard et réalité non moins crue, Saō Ichikawa interroge notre regard sur le handicap. Et démasque un eugénisme hypocrite, qui sous couvert de sauver la dignité humaine, supprimerait toute expression du vivant non conforme à la grande santé.
La bossue
Globe
Traduit du japonais par Patrick Honnoré
Tirage: 2 200 ex.
Prix: 14 € ; 96 p.
ISBN: 9782207185773