Souffle vital. Janvier 1846. Au premier étage du presbytère de Haworth, Emily Brontë couche sur le papier son dernier vers : « Il n'y a point de place pour la mort [...] ». Mars 1827. Emilia Chopin adresse à son frère un dernier poème : « Frédéric / je ne crains point la mort / mais dans ton souvenir / de mourir. » Octobre 1922. Katherine Mansfield écrit, gravement malade : « Que j'aime les fleurs ! Comme je tiens à elles ! [...] Ô Terre, Terre inoubliable ! » Au moment où ces trois vies se dissipent, emportées par la tuberculose, l'élan demeure, comme un pied de nez à la mort. « Comment reconnaît-on les fantômes ? » interroge ce roman, telle une devinette. « Ce n'est pas difficile. Ils chancellent », répond Pascal Quignard. Mais ne tombent pas, ajoute son lecteur après avoir voyagé dans ce texte parcouru d'un même élan vital.
Il n'y a pas de place pour la mort est le premier livre publié aux Éditions Hardies, imaginées « par défi et plaisir » par Sophie Nauleau et André Velter. Le « vaisseau amiral » de la maison est la sublime revue Kali Yuga, dans le sillage de laquelle paraîtront romans, contes, récits, essais, nouvelles, poèmes, écrits non répertoriés. Pour emblème, les Éditions Hardies ont choisi le plongeur de Paestum, dont la silhouette inversée s'élance vers le ciel et non plus vers les abysses. La complicité unissant Pascal Quignard et Sophie Nauleau est née un jeudi de janvier sur un banc des Buttes-Chaumont. Étudiante à la Sorbonne et à l'école du Louvre, Sophie Nauleau avait choisi Tous les matins du monde (le tableau de Baugin, le roman de Pascal Quignard et son adaptation par Alain Corneau) pour sujet d'études. « Nous sommes passés d'une relation où j'attendais pieusement une lettre par la poste à des textos trois fois par jour », indique Sophie Nauleau à Livres Hebdo. Il n'y a pas de place pour la mort, le texte et l'objet-livre qui l'abrite, a été pensé dans ses moindres détails par l'écrivain et son éditrice, des nuances de sable et d'écarlate de sa couverture au QR code dévoilant quelques secrets d'écriture, inséré dans ses pages « pour créer un lien direct entre l'écrivain, son éditeur et son lecteur », souligne Sophie Nauleau.
Sur le bandeau, le portrait d'un enfant sage, levant vers le ciel des yeux chargés de défi et de reproche. L'enfant a grandi dans les ruines du Havre après la Seconde Guerre mondiale. Pour atteindre son cours de violon, « après la cathédrale à terre », il allait « de pierre en pierre ». La musique lui offrira de voyager, « pareil à un moine qui va de sanctuaire en sanctuaire ». Du glacier de la Meije au bord de la Garonne, d'une falaise de Normandie à l'île Tsushima, ce roman insuffle l'art de la fugue et le désir de prendre la poudre d'escampette. Grâce à sa prose vagabonde, le lecteur devient, le temps d'une somptueuse parenthèse de vie, concertiste, pilleuse d'épave, amoureux transi sur son solex ou petit garçon mutique, autant d'ombres errantes mêlant rêveries et souvenirs autobiographiques, voix d'hommes et de femmes prenant leur élan pour ne pas disparaître. Sur le bandeau du livre, le petit garçon n'en finit pas de lever vers le ciel, et donc vers sa mère, des yeux chargés de défi et de reproche. « Il continuait d'attendre manifestant l'énorme force qu'il y a à attendre. Attendre est presque un supplier. Tels sont les fantômes. Nous les supplions de disparaître et ils nous supplient pour rester avec nous. »
Il n'y a pas de place pour la mort
Éditions Hardies
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 € ; 160 p.
ISBN: 9782959564369
