La mère, le pilote et le jobbeur. L'adage de Pascal est célèbre : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Il concerne directement Bobby, « grand dadais que tout le monde prend pour un semi-débile inoffensif », mais qui s'entraîne à faire des pompes sur les poings « pour se mettre du muscle dans les épaules » et n'aspire qu'à une chose : devenir riche. « Quand on y pense, je sais pas pourquoi Bobby avait cette idée fixe de faire de la thune à tout prix ; il aurait pu rester pépouze dans sa chambre, posters et PlayStation, et attendre gentiment que la vie se passe par la fenêtre », remarque Blaise, son colocataire, un garçon gentil, sérieux, bosseur, qui lui rêve juste d'« être un daron capable d'investir dans une poussette un peu stylée ». À 17 ans, Blaise et sa petite amie Djen s'aiment follement, attendent un enfant, mais n'ont pas les moyens de l'accueillir. Et la petite ville de V. où ils résident offre peu d'opportunités. Blaise se laisse alors tenter par le « contrat » que lui propose Bobby. L'un serait le « pilote », l'autre le « jobbeur », l'exécutant des basses tâches. 50 000 euros à la clé. Blaise calcule qu'avec cette somme, il pourrait passer son diplôme « ou garder le bébé si Djen est en alternance, et ensuite hop, avec les 9 000 restants, c'est parti pour une carrière rigoureuse, l'enfant grandit et il a des vêtements à sa taille, Papa est à son compte, Maman est technicienne supérieure, les étés on va à la mer ».
C'est de la mer qu'arrivent « les poisons » et leur juteux trafic, transitant du port maritime jusqu'à V. L'homme que Blaise et Bobby doivent abattre y est mêlé. « À moyen terme c'est soit la pire erreur de sa vie, soit la meilleure chance qu'il ait jamais eue », confie Djen à sa tatie, qui lui demande si elle est en danger. « Si Blaise est en danger, je suis en danger aussi », avoue la jeune femme. L'engrenage enclenché, la cavale n'appartient plus aux films de gangsters mais à la réalité. S'inspirant d'un phénomène sociétal en recrudescence, à savoir le recrutement par des réseaux mafieux de petites mains de plus en plus jeunes, Sicario bébé de Fanny Taillandier immerge son lecteur dans la France des oubliés. « Qu'est-ce qu'il y a d'autre à faire que devenir riche aujourd'hui ? Riche ou kamikaze, telle est l'alternative », regrette Blaise, qui aspirait pourtant à une vie honnête. « Dans ce non-humain, le fait de nommer prend le pas sur le silence et fait exister le lieu », écrivait Fanny -Taillandier en 2022 dans Delta (Le Pommier), un récit documentaire sur le delta de la Camargue. Sicario bébé témoigne d'une même volonté de nommer et de prendre le pas sur le silence : alternant les voix de Blaise et Djen, l'une exsudant la honte d'une précarité imposée, l'autre l'énergie vitale de la maternité, la plume de Fanny Taillandier écoute et capte l'oralité contemporaine, la transpose en littérature dans un style fluide, accessible, d'une grande et belle liberté formelle. Le pari n'était pas aisé mais l'écrivaine réussit, en moins de deux cents pages, à brosser une fresque tendre et vibrante, qui saisit une réalité à mille lieues des clichés.
Sicario bébé
Rivages
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782743669164
