Mourir sur scène. Ceci n'est pas une biographie, mais une de ces songeries érudites que Philippe Delerm, gros lecteur par nature et par fonction (il fut toute sa vie professionnelle professeur de lettres dans le secondaire), aime à consacrer à ses écrivains favoris : Proust, d'abord, mais aussi Alain-Fournier, ou, ici, Charles Dickens, dont il avait déjà parlé dans Dickens, barbe à papa et autres nourritures délectables (« L'arpenteur », Gallimard, 2005). L'auteur des emblématiques Oliver Twist, Les aventures de Monsieur Pickwick et Un chant de Noël se voit aujourd'hui consacrer un livre à lui seul, même si Proust et Alain-Fournier y sont encore présents : les deux écrivains étaient de grands admirateurs de Dickens. On est un peu, dans ce livre, en famille.

L'ambition de Philippe Delerm, bien particulière, n'est pas l'exhaustivité : il s'attache aux dernières années de la vie de Dickens (mort le 9 juin 1870 à 58 ans), à partir de 1858 et de la séparation brutale avec sa femme Catherine, avec qui il ne partageait plus rien hormis leurs dix enfants ! Mais le pater familias, mal aimé, même par ses propres parents, se disait déçu par sa progéniture. Il a tout reporté sur son œuvre, par laquelle il a obtenu la reconnaissance sociale, la gloire internationale, et l'argent. Cet argent qu'il aimait si fort. C'est l'une des raisons pour lesquelles, en dépit d'une santé de plus en plus chancelante, il se lança dans une espèce de never ending tour des salles de théâtre où, partout dans le monde et à guichets fermés, il donna des lectures-conférences. Aux États-Unis notamment, en 1867-1868, à New York et à Boston, il remporta un succès faramineux - et lucratif.

Riche et célèbre, Charles Dickens voulait aussi être applaudi, aimé, enfin. Il y est parvenu, jusqu'à être considéré, par Philippe Delerm et d'autres, comme l'un des deux plus grands écrivains du xix^e siècle, avec Victor Hugo. Les deux plus grands du siècle suivant étant, toujours selon Delerm, Proust et Joyce. Pourquoi pas ? « Tout le monde le connaît et presque personne », écrit-il. Grâce à ce livre, on le connaît un peu mieux. L'homme surtout, attendrissant.