La proposition de loi transpartisane portée notamment par Laure Darcos (LR), Agnès Evren (LR) et Pierre Ouzoulias (PCF) instaurant une présomption d'exploitation des contenus culturels par les fournisseurs d'IA se heurte à un obstacle révélateur des enjeux : la place de Mistral AI, champion français de l'intelligence artificielle (IA), dans un secteur outrageusement dominé par les Chinois et les Américains.
Présenté lors d'une conférence de presse au Sénat le 17 décembre, ce texte vise à rééquilibrer le rapport de force entre créateurs et opérateurs d'IA en renversant la charge de la preuve. Le cas Mistral révèle toute la complexité d'un combat qui oppose défense des droits d'auteur et souveraineté numérique européenne.
Un dialogue compliqué avec le champion tricolore
Lors de la conférence, les sénateurs ont évoqué des échanges avec Mistral AI qui illustrent le fossé culturel entre le monde de la tech et le secteur culturel. « Ils sont tellement dans la tech qu’avoir à discuter d'un point de vue institutionnel, avec des syndicats, avec des corporations, penser à l'alliance de la presse, mais également à tous les syndicats d'édition ou du spectacle vivant, c'est très compliqué pour eux », constate Laure Darcos. La sénatrice de l’Essonne reconnaît que Mistral « ne connaissait pas les sociétés de gestion collective ou les différents secteurs culturels ».
Pierre Ouzoulias, Laure Darcos et Agnès Evren au Sénat, le 17 décembre 2025- Photo © EDPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Lors de cette rencontre très récente avec les parlementaires, Mistral AI a défendu une position pragmatique : face à la concurrence chinoise qui « ne respecte absolument aucune des conventions internationales » et produit « une intelligence artificielle bon marché » fondée sur « un pillage absolu », l'entreprise française plaide pour un assouplissement réglementaire permettant de rester compétitive. « Il faudrait qu'on donne la possibilité aux opérateurs européens de piller de la même façon, pour qu'il n'y ait pas trop de discordance de concurrence », résume Pierre Ouzoulias, tout en assurant que « c'est un discours qu'on ne peut pas entendre ».
Le refus d'un alignement par le bas
Pour les sénateurs, céder sur le droit d'auteur au nom de la compétitivité reviendrait à détruire le fondement même de l'exception culturelle française. « Si nous mettons en danger le droit d'auteur pour ce qui concerne le "chalutage" de l'intelligence artificielle, d'autres personnes vont demander les mêmes exonérations », argumente le sénateur des Hauts-de-Seine.
La proposition de loi crée une présomption légale simple : tout contenu protégé par le droit d’auteur au niveau français est présumé avoir été exploité par un système d'IA dès lors qu'un indice rend cette exploitation vraisemblable. Aux opérateurs d'IA de prouver le contraire. « On les place un peu dans la situation dans laquelle ils mettent aujourd'hui les ayants droit », explique Pierre Ouzoulias.
La vision d'une IA éthique européenne
Les sénateurs refusent la logique d'urgence économique brandie par Mistral AI. « Ce qu'on propose, c'est d'avoir un coup d'avance et de préparer pour demain une intelligence artificielle qui soit éthique, responsable et qui défende aussi le droit des auteurs », développe Pierre Ouzoulias. Avec un argument : les modèles d'IA ont besoin de contenus culturels de qualité pour éviter la dégénérescence. « Les plateformes commencent à moissonner leurs propres résultats. Et donc il y a un appauvrissement », observe le sénateur communiste.
En passant d’une « IA pirate à une IA éthique », Agnès Evren assure que la proposition de loi, qui s'inscrit dans les interstices du droit européen sans contrevenir au règlement IA, entend envoyer « un signal politique clair à l'Europe : oui à l'innovation, mais pas au prix du pillage culturel », clame la sénatrice de Paris.
Laure Darcos et Agnès Evren au Sénat, le 17 décembre 2025- Photo © EDPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Les membres de la Commission des affaires culturelles de la Haute Assemblée assument pleinement leur soutien à Mistral AI, à condition que l'entreprise accepte les règles du jeu. Le message est clair : le champion français de l'IA doit devenir l'étendard d'une troisième voie européenne, entre géants américains et chinois, fondée sur le respect de la propriété intellectuelle. « On n'est pas contre le soutien plein et entier » de l'État pour l’entreprise tech, insiste Laure Darcos, ajoutant qu’« on serait d'autant plus fort en France et à Bruxelles, de pouvoir le supporter et le soutenir s'il montrait l'exemple ».
La ministre de la Culture Rachida Dati a apporté son soutien à la proposition de loi par un communiqué en novembre. Reste à convaincre le reste du gouvernement et l'Assemblée nationale, où la députée Céline Calvez (Hauts-de-Seine / EPR) se dit prête à reprendre le texte, selon les sénateurs. Objectif : une présentation devant le Sénat avant fin février et la pause des élections municipales.


