Une proposition de loi transpartisane créant une présomption légale d'exploitation des contenus culturels par les fournisseurs d'IA (Intelligence artificielle) sera présentée mercredi 17 décembre lors d'une conférence de presse au Sénat. Porté par la Commission des affaires culturelles de la Haute assemblée, le texte est né de l'impasse des négociations entre ayants droit et opérateurs d'intelligence artificielle.
« On n'a vraiment pas d'autre prétention que de mettre ce pied dans la porte comme signal vis-à-vis des opérateurs, mais aussi de Bruxelles », explique à Livres Hebdo Laure Darcos, la sénatrice à l’initiative de cette proposition de loi avec ses collègues Agnès Evren (LR), Catherine Morin-Desailly (UC), Karine Daniel (SER), Pierre Ouzoulias (CRCE) et Laurent Lafon (Union Centriste). L'article unique de cette « PP » inverse la charge de la preuve dans les contentieux opposant créateurs et plateformes d'IA générative.
Un mécanisme de présomption réfragable
Concrètement, l'article unique du texte instaure une présomption simple d'utilisation des œuvres protégées dès lors qu'« un indice en lien avec le développement ou le déploiement du système d'IA ou dans le résultat généré par celui-ci rend vraisemblable cette exploitation ». Cette présomption, dite réfragable, peut être renversée par les fournisseurs d'IA s'ils démontrent au juge que le contenu n'a pas été exploité.
Laure Darcos sénatrice de l'Essonne dans la bibliothèque du Sénat.- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Le mécanisme s'appuie sur la vraisemblance : lorsqu'une IA produit un contenu à la manière d'un auteur, en « régurgite » des extraits ou présente des ressemblances avec une œuvre protégée, son exploitation devient présumée. « Au lieu de la preuve de l'exploitation d'un contenu culturel, quasi impossible à rapporter sans transparence totale, le mécanisme requiert la preuve d'un fait connu, plus simple à rapporter », précise l'exposé des motifs.
L'échec des négociations
Cette initiative législative fait suite à l'échec de la concertation lancée en juin 2025 par les ministères de la Culture et de l'Économie. Après cinq réunions plénières et 40 bilatérales, les discussions se sont achevées fin novembre sur un consensus : « Il y a eu plutôt un constat partagé de non-partage de la valeur », résume Laure Darcos.
La sénatrice pointe le déséquilibre des exceptions « TDM » (text and data mining) prévue par la directive européenne de 2019 sur le droit d'auteur. L'une de ces exceptions autorise la reproduction et l'extraction de contenus protégés accessibles légalement, même à des fins commerciales. Cette exception, censée être encadrée par une clause de retrait (opt-out), est alléguée par les fournisseurs d'IA comme fondement juridique à leurs pratiques de moissonnage massif de contenus protégés, sans autorisation ni rémunération.
« L’industrie du numérique n'a absolument pas la culture des OGC (Organismes de gestion collective, ndlr) et des syndicats culturels », observe la sénatrice, qui rappelle les tentatives contractuelles isolées, comme l'accord entre Le Monde et OpenAI, en mars 2024.
Un consensus transpartisan rare
Le texte bénéficie d'un soutien inhabituel à l'échelle du spectre politique. Tous les groupes de la commission de la Culture du Sénat sont cosignataires. « Je ne pense pas que LFI ou le RN ne veulent pas défendre le milieu culturel face au tsunami que représente l'intelligence artificielle », souligne Laure Darcos, qui a réussi à fédérer l'ensemble des ayants droit lors d'une réunion organisée en quatre jours. « Tous les ayants droit de tous les secteurs culturels sont d'accord sur ce sujet ».
Certains secteurs, notamment la presse et les syndicats d'auteurs, auraient souhaité aller plus loin en revenant sur l'exception TDM elle-même. « Mais il n'appartient pas au législateur national d'intervenir sur le droit de l'Union européenne, rappelle l’ancienne directrice des relations institutionnelles d’Hachette. C'est pourquoi les rapporteurs ont privilégié une démarche procédurale, en créant une règle nationale permettant de garantir l'effectivité des droits reconnus par l'UE ».
Calendrier et enjeux européens
Reste à convaincre Bercy et Matignon, soucieux de défendre le champion français Mistral. « Il faut qu'on arrive à convaincre Mistral et les futurs champions européens qu'ils auraient intérêt à montrer l'exemple par rapport aux GAFAM », plaide Laure Darcos.
Le texte pourrait être examiné dès janvier prochain, lors d'une conférence des présidents ou dans une niche parlementaire transpartisane, avant l'interruption de fin février pour cause d'élections municipales.
La France entend ainsi jouer son rôle de « locomotive dans les questions culturelles », après avoir observé le recul de Bruxelles sur ces sujets. « Au printemps dernier (alors que l’administration Trump revoyait sa politique douanière,ndlr), Bruxelles avait plus envie de défendre les voitures allemandes que les droits d'auteur », décrit la sénatrice.
Si la proposition est adoptée, la France pourrait entraîner ses partenaires européens. L'idée d'une présomption d'utilisation figure déjà dans le rapport du député européen Axel Voss, qui sera examiné début 2026 par la commission des affaires juridiques du Parlement européen. « C'est important pour nous de montrer que les milieux culturels et le droit d'auteur ne vont pas se laisser faire », conclut Laure Darcos. En cas d'échec parlementaire, les rapporteurs ont prévu un plan B : une taxation du chiffre d'affaires des fournisseurs d'IA réalisé en France.

