Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) avait lancé en avril une mission sur la loi applicable à l'entraînement de modèles d'intelligence artificielle hors Union européenne.
En écho au règlement européen sur l’Intelligence artificielle (RIA) du 13 juin 2024 entré en vigueur le 2 août 2025 qui a pour objectif, conformément à son article 1er, de promouvoir l'adoption d'une intelligence artificielle (IA) « centrée sur l’homme et digne de confiance tout en respectant les valeurs de l’UE », l’objectif de la mission était d’examiner l’état de la réglementation et de la jurisprudence applicable au plan national et international, de présenter les questions de conflits de lois entre le développement de l’IA et le droit d’auteur, et d’étudier les différentes options permettant de clarifier le traitement de ces conflits afin de garantir les intérêts des auteurs.
Principe de territorialité, règles de conflits de loi (loi du pays pour lequel la protection est revendiquée), notions de loi de police et de délit complexe, portée du règlement européen sur l’IA… Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, et Yves El Hage, maître de conférences, ont rendu jeudi 18 décembre leur rapport présentant les enjeux entourant le droit d’auteur et le droit international privé.
Une publication qui intervient alors qu'une proposition de loi transpartisane créant une présomption légale d'exploitation des contenus culturels par les fournisseurs d'IA a par ailleurs été présentée la veille, mercredi 17 décembre, lors d'une conférence de presse au Sénat. Porté par Laure Darcos avec ses collègues Agnès Evren (LR), Catherine Morin-Desailly (UC), Karine Daniel (SER), Pierre Ouzoulias (CRCE) et Laurent Lafon (Union Centriste), l'article unique de cette proposition de loi instaure une présomption simple d'utilisation des œuvres protégées dès lors qu'« un indice en lien avec le développement ou le déploiement du système d'IA ou dans le résultat généré par celui-ci rend vraisemblable cette exploitation ».
Critère de la localisation de l’acte d’exploitation
Dans la première partie de leur rapport de 64 pages consultable sur le site du ministère de la Culture, Tristan Azzi et Yves El Hage analysent les règles actuelles du droit international privé en mettant délibérément de côté les dispositions du règlement sur l’IA du 13 juin 2024, étudiées quant à elles dans la seconde partie. « Aucune règle de conflit spécifique aux modèles d’IA n’existe à ce jour », rappellent-ils, avant d’ajouter que « les règles de conflit ordinaires restent cependant applicables » en procédant à la localisation de l’acte d’exploitation potentiellement illicite.
Alors même que le critère de la localisation des serveurs a déjà été clairement écarté par la Cour de Justice de l’Union européenne sur des cas plus classiques de contrefaçon, ils estiment ainsi que le critère de la localisation des serveurs, appliqué à l’intelligence artificielle générative, mènerait « dans une impasse puisque la localisation ne peut pas être établie avec certitude et que les modèles sont aussi nourris par un moissonnage du web en temps réel impossible à localiser. »
Dès lors, la question du droit applicable ne dépend pas seulement des règles applicables aux intrants (outputs), car le fonctionnement d’un modèle est un « processus global et indivisible ». Et de compléter : « Puisqu’il n’y pas de collecte sans production de résultat ni de résultat sans collecte, on parle, pour les actions en contrefaçon, de "délits complexes". Le droit applicable obéit alors à une règle de localisation en aval. Si l’accès au contenu généré a lieu depuis l’UE, c'est la loi du pays où le contenu est exploité qui s’applique ».
« Le juge national devrait mettre en œuvre le droit européen »
La seconde partie du rapport examine l’incidence du règlement sur l’IA du 13 juin 2024 en droit international privé. Tristan Azzi et Yves El Hage rappellent que le considérant 106 du règlement prévoit que doit être mise en place par les fournisseurs de modèles une politique respectant les règles européennes de droit d’auteur.
Ce texte vient encore conforter le raisonnement proposé, estiment-ils : « Le juge national saisi d’une question de droit d’auteur appliqué à l’IAG devrait donc mettre en œuvre le droit européen. Et donc faire respecter les droits des auteurs et des autres créateurs, qu’ils relèvent du droit exclusif ou qu’ils prennent la forme de la réserve de droit (opt out) prévue par la directive de 2019 (TDM). »
