"Aujourd’hui ma sœur est morte." Ainsi pourrait commencer Un été en famille, ce premier roman d’Arnaud Delrue où la sœur du narrateur est morte depuis une semaine. Mais hormis ce détail, le ton détaché, la voix quasi blanche auréolée d’une imperceptible fébrilité, tout rappelle la façon déroutante de Meursault dans le chef-d’œuvre de Camus. Tout comme dans L’étranger, la mort annoncée en incipit préfigure une autre mort. Le narrateur, 25 ans, raconte les funérailles de Claire dont il était proche en âge et en sentiment. Les dramatis personae défilent, qui composent le drame qu’est en train de nous conter Philippe : "Maman", la mère veuve autoritaire ; l’oncle maternel Paul ; l’ami d’enfance Basile ; Jacques Duval, le médecin qui soignait Claire ; enfin Marie, 11 ans, à qui est adressée l’histoire. Le récit familial de Philippe dessine en creux qui il est : un type taiseux et asocial. Il vient de démissionner et dragouille une fille qui travaillait dans la compagnie d’assurance qu’il a quittée. Il veut déménager de chez sa mère et envisage de partir s’installer seul ou plutôt avec Marie.
Arnaud Delrue, par ailleurs photographe, sait jouer du détail avec une formidable acuité visuelle. C’est de manière subreptice qu’il lâche les indices. Claire s’est suicidée, mais les traces de violence sur son corps indiquent, selon la gendarmerie, qu’elle a été violée avant son suicide. D’après la confession de Philippe, on sait que Claire était d’un équilibre précaire, qu’elle s’automutilait, mais qu’elle considérait aussi que faire l’amour ne mangeait pas de pain. Marie, qu’apostrophe le narrateur dans le texte, se révèle être non pas la petite dernière, mais la fille que Claire avait eue à l’âge de 14 ans. Mais si certaines situations s’éclaircissent, il s’immisce dans le même temps un sentiment d’étrangeté proche de l’aliénation. Plus on progresse et plus on a l’impression de fouler un sol meuble. Et le lecteur de douter de la parole même du narrateur, l’inquiétude gagne et l’on est convaincu d’avoir affaire avec la vérité d’un fou. Subtilement elliptique et à l’esthétique glaçante, Un été en famille est un premier roman époustouflant de maîtrise.
S. J. R.