Mort en mars à Boston - après la guerre du Biafra, dont il avait soutenu la sécession, il est parti enseigner au Canada et aux Etats-Unis -, Chinua Achebe était né en 1930 à Ogidi, dans l’est du Nigeria, au sein d’une famille ibo chrétienne. Il a été professeur d’université, journaliste à la radio, éditeur. Il est l’auteur d’une œuvre multiforme, qui lui a valu le Man Booker International Prize en 2007. A peu près inconnu ici, Actes Sud a décidé de le révéler au public français en publiant en même temps deux de ses livres : Tout s’effondre, roman paru originellement en 1958 et considéré comme son chef-d’œuvre, et Education d’un enfant protégé par la Couronne, recueil de seize articles ou conférences datant des années 1990-2000, rassemblé et organisé par l’écrivain en 2009.
Tout s’effondre se situe au sein du clan ibo Umuofia, au Nigeria, à la fin du XIXe siècle, juste avant l’arrivée des missionnaires blancs. Le personnage central s’appelle Okonkwo, un « grand homme ». A rebours de son père Unoka, considéré comme un lâche efféminé, un raté, c’est un brave, un guerrier. Un chef qui mène sa famille, trois femmes et huit enfants, à la baguette, voire avec dureté. Ainsi, lorsqu’on lui ordonnera, conformément à la tradition, d’exécuter Ikemefuna, un jeune otage d’un clan adverse qu’il considérait comme un fils, n’hésitera-t-il pas un instant. De même, ayant tué par accident un jeune d’une autre famille, un «crime femelle», il subira sans ciller un exil de sept ans dans la famille de sa mère. Okonkwo est un être tout d’une pièce, pour qui la tradition et la religion de ses ancêtres sont fondamentales et ne sauraient être contestées. Aussi, quand viennent s’installer à Umuofia des missionnaires blancs, d’abord tolérants puis fanatiques, qu’ils bâtissent leur église et gagnent des conversions - y compris celle de Nwoye, son propre fils aîné, baptisé Isaac -, il ne comprend plus rien. Son chi, le bon génie de chacun, ne suffit plus à le protéger. Il va pousser jusqu’au bout sa logique, dans une lutte désespérée contre le « progrès ».
Il se peut que Tout s’effondre ait été puisé par Achebe dans l’histoire de sa propre famille, des Ibos convertis au christianisme. Qu’il y ait mêlé des souvenirs de sa jeunesse de « garçon élevé dans le Nigeria britannique au temps de la colonie ». Avec humour et modestie, il revient sur le succès du livre, et sur sa situation paradoxale : comment, en tant que professeur de littérature africaine, pourrait-il enseigner son propre texte, celui de l’écrivain Achebe ? Peu importe. Tout s’effondre est un roman puissant et émouvant, riche en épisodes « ethnographiques ». Culte pour tous les Africains anglophones.
A propos d’Achebe, un certain Nelson Mandela - qui savait de quoi il parlait - a dit : « Un écrivain dont la fréquentation fait tomber les murs des prisons. »
Jean-Claude Perrier