De quelles manières la pandémie a-t-elle impacté les cessions de droits à l'international ?
Après une courte période de sidération, en raison des confinements, les éditeurs étrangers ont continué à marquer leur intérêt pour les titres français. La baisse des cessions en 2020 a été environ de 3 %. Cette baisse est moins importante que nous le redoutions et concerne principalement les segments impactés par la crise : les livres de tourisme et les beaux livres. En 2020, la fiction, la bande dessinée et la jeunesse ont concentré plus de 70 % des cessions. La Chine a été le pays qui a acquis le plus de titres, près de 1 500 sur un total de 14 000 titres cédés à l'étranger.
Et le bilan 2021 ?
Le Syndicat national de l'édition (SNE) publiera les chiffres au printemps mais pour l'heure, nous n'avons pas à déplorer de catastrophe. Et cela en partie en raison du professionnalisme des responsables de droits des maisons d'édition françaises. C'est un métier qui nécessite l'alignement d'un certain nombre de compétences : il faut être fin lecteur mais aussi fin connaisseur des interlocuteurs internationaux et de leur ligne éditoriale. Il faut savoir partager l'enthousiasme pour des titres tout en négociant les meilleures conditions possibles pour l'œuvre et son auteur. Sans oublier le suivi de l'exploitation du titre dans un pays étranger et sa mise en avant... C'est un métier de l'ombre qui est défendu par des passionnés et qui porte des fruits : le français est la deuxième langue la plus traduite dans le monde.
Mais les éditeurs étrangers ne se montrent-ils pas plus frileux dans leurs choix ces derniers temps ?
Je dirais que cette tendance ne date pas d'hier, elle est apparue avant la pandémie. Les éditeurs étrangers prennent effectivement moins de risques et se tournent vers des valeurs sûres, des titres qui ont fait l'objet de très belles ventes en France ou qui ont été couronnés par des prix. Les œuvres qui concentrent un intérêt critique les intéressent aussi. La pandémie a sans doute renforcé cette tendance. Traduire un livre coûte cher et cela peut être handicapant quand, en raison des restrictions sanitaires, on ne peut pas faire venir un auteur pour assurer la promotion.
Vous présidez la Commission internationale du SNE depuis 2016. Avez-vous mené des études pour calculer, en moyenne, le poids économique des cessions dans le chiffre d'affaires global de chaque maison d'édition ?
Nous ne pouvons faire qu'une évaluation sur cette question. Toutefois, nous avons estimé la part des cessions étrangères de 5 à 7 % dans une maison d'édition et jusqu'à 30 % quand il s'agit de coéditions, notamment dans les segments de l'illustré et de la jeunesse. Ce n'est pas négligeable.
Comment percevez-vous l'irruption des agents dans l'écosystème français ?
La majorité des maisons d'édition de taille moyenne dispose d'un service de droits professionnel et l'immense majorité des auteurs leur font confiance. Si des agents interviennent, nous travaillons en bonne intelligence avec certains. L'édition française s'est construite avec ses propres services ; lesquels sont adaptés à chaque pays. Leur force tient dans la connaissance profonde du catalogue, là où certains agents agissent au coup par coup. Le travail entrepris par les services de cessions de droits des maisons d'édition est envisagé sur un temps long, afin de construire le succès international d'un auteur de manière pérenne. Notre travail est en cela tout à fait différent.
Quels sont les chantiers que vous avez menés à bien au sein de la commission internationale depuis votre arrivée ?
La vocation de cette commission est de renforcer les liens interprofessionnels des acteurs mais aussi leur professionnalisation, en fournissant des outils aux petites et moyennes maisons d'édition. Plusieurs chantiers ont été accomplis depuis 2016. Nous avons élaboré un modèle de contrat de cessions de droits en français et en anglais, en collaboration avec la commission juridique. Il a été mis à disposition de nos membres depuis octobre 2018.
Nous avons aussi créé des groupes de travail sur des sujets importants comme le livre audio mais aussi le droit à la formation. Le livre audio nous préoccupe beaucoup car nous percevons leur importance grandissante à l'international. Nous travaillons pour éclairer les problématiques qui entourent l'audiobook. Nous avons renforcé notre fructueuse collaboration avec le Bureau international de l'édition française (Bief), une structure essentielle. Je me suis, au demeurant, efforcée de rapprocher notre commission de notre diplomatie culturelle en invitant les chargés du livre des ambassades aux séances plénières pour qu'ils puissent nous présenter la situation actualisée de chaque marché. Le dernier en date était l'Argentine.
On note un intérêt croissant des producteurs pour les livres et les adaptations audiovisuelles augmentent. Même si vous vous occupez uniquement des cessions de droits étrangers et non audiovisuels, sentez-vous que ce phénomène finira par impacter votre service ?
Je trouve cela formidable. Que les producteurs se tournent vers les livres c'est assez logique puisqu'ils sont les premiers pourvoyeurs d'histoires. Lorsque nous observons de belles synergies entre un produit audiovisuel et un livre, cela peut impacter bénéfiquement les droits étrangers puisque nous informons les éditeurs de la sortie du film ou du documentaire dans chaque pays. L'exemple le plus récent est l'adaptation de La panthère des neiges de Sylvain Tesson, un merveilleux documentaire réalisé par Marie Amiguet avec Vincent Munier. C'est une synergie très positive qui nous permet de reparler de l'auteur, déjà traduit dans 25 langues, et de, qui sait, céder son livre dans des territoires qui restent encore à conquérir. Toujours dans le but de générer de nouvelles traductions.