Dans l’iconographie religieuse, les saints et les saintes sont reconnaissables par le disque de lumière qui auréole leur tête, la palme du martyre qu’ils tiennent dans la main et autres emblèmes du supplice qu’ils ont enduré au nom de leur foi. Sainte Catherine est figurée avec la roue hérissée de pointes prête à la déchiqueter, Saint Laurent avec le gril où il sera brûlé vif…
Saint François, dit le Poverello, « le petit pauvre », natif d’Assise, en Ombrie (Italie), a vite eu droit à des représentations de ses faits et gestes inspirées des Fioretti, recueil d’anecdotes autour de sa vie : François prêchant la bonne parole aux oiseaux, donnant son manteau à un pauvre, et, bien sûr, François recevant les stigmates, les plaies du Christ, ces marques laissées par les clous de la croix et la lance du centurion qui lui perça le flanc… Le peintre du Quattrocento Giotto consacre des fresques à la vie du saint d’Assise.
Mais c’est à une autre période et à un autre artiste que le musée des Beaux-Arts de Lyon dédie ses cimaises. C’est à partir d’un tableau de Saint François appartenant à ses collections permanentes, peint par l’un des maîtres du Siècle d’or espagnol Francisco de Zurbarán (1598-1664) que le musée lyonnais a conçu cette superbe exposition « Zurbarán. Réinventer un chef-d’œuvre ».
Catalogue aux éditions Del Viso
Parfait cicerone, le catalogue paru aux éditions Del Viso accompagne de manière érudite et limpide tout visiteur, ou simple lecteur, curieux d’approfondir les questions esthétiques et iconographiques que posent l’exposition. Le chef d’œuvre de Lyon est un portrait en pied de Saint François encapuchonné dans sa robe de bure, les yeux rivés vers le haut, les mains rentrées dans ses manches… Son corps se détache sur un fond sombre, et l’on remarque sur le côté droit de ladite robe, une déchirure qui dévoile l’un des stigmates du saint.
En fait le saint est déjà mort : il est représenté selon la vision du pape Nicolas V. Le pontife visitant la crypte de la basilique Saint François d’Assise en 1449 aurait découvert le corps du Poverello en habit, debout, le regard levé au ciel, comme s’il était encore vivant. Cet épisode va devenir un motif de l’iconographie catholique, figurant l’Alter Christus (« l’autre Christ ») ainsi qu’est également surnommé le stigmatisé d’Assise.
L’originalité de Zurbarán est d’avoir peint la vision papale de manière à la fois réaliste – il y a un effet de trompe-l’œil avec cette ombre qui se projette dans l’espace occupé par le saint – et assez abstraite – aucun détail de l’apparition n’est évoqué dans cette œuvre, contrairement aux tableaux et gravures qui circulaient lors du sursaut catholique de la Contre-Réforme, où on voit Nicolas V entouré d’un aréopage de prélats, baisant le pied troué de saint François.
Modèle de sobriété
Ce modèle de sobriété baignée de ténèbres, inventé par le peintre sévillan, cette frontalité de la posture du saint, rend la dévotion et l’accès à la dimension mystique plus directe. Pour la première fois, pour l’exposition, sont réunies à côté du chef d’œuvre lyonnais (1636) les deux autres versions de Saint François, d’après la vision du pape Nicolas V, celui du Museu Nacional d’Art de Catalunya à Barcelone (vers 1635-1640) et la version du Museum of Fine Arts de Boston (vers 1640-1645).
Capuche du moine, expression de recueillement, modèle se tenant face au spectateur… le vocabulaire pictural créé par Zurbarán pour représenter Saint François d’Assise a fait florès non seulement dans la piété catholique du XVIIe siècle mais aussi à travers les siècles et au-delà de la foi, inspirant artistes contemporains comme les Français Xavier Veilhan et Djamel Tata ou le Canadien Owen Kydd – un autoportrait, mains dans les poches, en hoodie comme Saint François…