De la démocratie en Amérique

Chronique de l’Amérique trumpienne Saison 2 – Le bon, la brute et le truand

De la démocratie en Amérique, saison 02 - Photo Photomontage Olivier Dion

Chronique de l’Amérique trumpienne Saison 2 – Le bon, la brute et le truand

Dans une Amérique tétanisée par la contre-révolution trumpienne, où une présidence impériale impose ses décrets à un congrès soumis, le système judiciaire, malgré une Cour suprême inféodée, apparaît comme le dernier rempart d’une démocratie cherchant à sauver les apparences.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 19.03.2025 à 15h37

Saison 2 : La série se poursuit. Chacun endosse son personnage. Pour le pire. Le suspense perdure. Mais la fin semble écrite.

Sans doute, l’image que retiendra l’Histoire est celle de la réception de Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale par Donald Trump, offrant au monde le spectacle d’un lynchage orchestré par le vice-président, J.D. Vance. Ce dernier, en quête d'existence politique, s'est illustré dans un rôle de brute, d’autant plus agressif qu’il était bien entouré. Un mauvais remake du Bon, la Brute et le Truand.

Pourtant, une autre image mérite l'attention des observateurs : celle du 14 mars dernier, lorsque Donald Trump s’est rendu au ministère de la Justice, dirigé par Pam Bondi, qui s’est engagée à le protéger à tout prix.

Trump au ministère de la justice

Depuis des générations, les présidents américains ne se rendent que très exceptionnellement dans le grand hall du ministère de la Justice, et ce, pour annoncer d’importantes initiatives de lutte contre la criminalité ou réaffirmer leur attachement au principe fondamental de l’État de droit. Ils veillent néanmoins à conserver une distance respectueuse avec le fonctionnement interne du ministère afin d’éviter tout soupçon de conflit d’intérêts. Ce fut le cas de Bill Clinton lorsqu'il défendait son projet de loi sur la criminalité devant le Congrès, ou encore de George W. Bush lors de l’inauguration d’un bâtiment en l’honneur de l’ancien procureur général Robert F. Kennedy.

Mais Trump ose tout. Il a profité de son discours non seulement pour imposer sa propre vision de la justice – guidée par la vengeance personnelle plutôt que par des principes institutionnels – mais surtout pour attaquer frontalement ceux qui ont travaillé ou travaillent encore au ministère de la Justice. Fidèle à son sens de la mesure et à une logique de revanche infantile, il a fustigé ces « gens qui sont mauvais, vraiment mauvais », accusant ses opposants d’avoir voulu « transformer l’Amérique en un pays communiste corrompu et en un État du tiers-monde ». Mais en réalité, c’est la Cour suprême qui l’a surtout absous de ses actions…

L’ancien président a ensuite dressé une liste de ses ennemis : Marc Elias, avocat démocrate qui avait combattu ses tentatives d’inverser les résultats de l’élection de 2020 ; Mark F. Pomerantz, procureur ayant travaillé sur une affaire criminelle contre lui à Manhattan ; Alvin L. Bragg, procureur de Manhattan ; Jack Smith, ancien conseiller spécial qui l’a poursuivi pour possession illégale de documents classifiés et tentatives de fraude électorale. Sans oublier James B. Comey, l’ancien directeur du FBI, qui avait ouvert une enquête sur les liens entre la Russie et la campagne présidentielle de Trump en 2016.

La juge du président

À l’inverse, il a encensé la seule juge qui lui avait été favorable dans ses déboires judiciaires : Aileen M. Cannon. Cette magistrate de Floride avait rejeté l’affaire des documents classifiés dans une décision contraire à tous les précédents juridiques en la matière. Sans surprise, Trump l’a qualifiée de « modèle absolu de ce que doit être un juge » – autrement dit, un magistrat à son service.

Pendant plus d’une heure, Trump, s’appuyant sur une série de faits déformés et de contre-vérités, a dénoncé l’instrumentalisation du système judiciaire à son encontre. Il a qualifié ses opposants de « racailles », et ce, dans la même salle où, en 1940, le procureur général Robert Jackson avait exhorté les magistrats à privilégier le fair-play plutôt qu’une volonté aveugle de victoire. Son message, à l’inverse, était limpide : la privatisation de l’institution judiciaire et des forces de l’ordre fédérales au service de sa vengeance.

Les instruments de cette revanche ont pris la parole avant lui : Kash Patel, directeur du FBI, et Todd Blanche, procureur général adjoint, ont vanté les mérites de l’administration Trump, saluant l’accélération de l’application des lois sur l’immigration et les mesures punitives à l’encontre des universités refusant d’épurer leurs programmes de diversité et d’inclusion. Pour conclure, Pam Bondi a rappelé qu’elle travaillait « selon les directives de Donald Trump ».

La bataille des juges fédéraux

Le matin même, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, avait dénoncé le nombre élevé de décisions défavorables émanant des juges fédéraux, stigmatisant « des activistes partisans qui tentent d’usurper la volonté de ce président ». La veille, deux juges fédéraux de Californie et du Maryland avaient enjoint l’administration à réintégrer des milliers de fonctionnaires licenciés en période d’essai, une décision perçue comme un camouflet par la présidence.

Ne soyons pas naïfs. La polarisation politique a depuis longtemps gagné le pouvoir judiciaire. Depuis plusieurs décennies, la confirmation par le Sénat des juges fédéraux, qu’ils soient de première instance ou d’appel, est devenue une bataille acharnée. Pourtant, une procédure d’impeachment pour des raisons politiques demeure hautement improbable : elle exigerait une majorité des deux tiers au Sénat. À ce jour, seuls quinze juges fédéraux ont été destitués depuis 1804, principalement pour des faits de corruption ou d’agressions sexuelles.

Surprise à la Cour suprême

Si le spectre d’une crise constitutionnelle majeure plane sur les États-Unis, avec la possibilité que Trump passe outre une décision judiciaire défavorable, il semble plus vraisemblable qu’il mise sur la longueur des procédures et sur le fait qu’une grande partie des contentieux en cours finiront devant la Cour suprême. Or, il y dispose d’une majorité confortable : six juges conservateurs sur neuf.

Toutefois, l’issue n’est pas aussi certaine qu’il y paraît. Le 5 mars dernier, la Cour suprême a infligé un revers à l’administration Trump en validant la décision du juge Amir Ali concernant les versements partiels de l’aide internationale américaine. Dans un geste inattendu, le président de la Cour, John Roberts, a joint sa voix à celles des juges progressistes, tout comme Amy Coney Barrett, pourtant nommée par Trump. Ce revirement leur a immédiatement valu une campagne de dénigrement orchestrée par les soutiens de l’ancien président, sommés de rentrer dans le rang.

« Comme si l’usage du pouvoir ne consistait qu’à faire du mal aux autres ! », disait Salluste dans La conjuration de Catilina.

Suite au prochain épisode …

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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