Avant-critique Récit

Beata Umubyeyi Mairesse, "Le convoi" (Flammarion)

Beata Umubyeyi Mairesse - Photo © Céline Nieszawer/Flammarion

Beata Umubyeyi Mairesse, "Le convoi" (Flammarion)

Dans un récit sobre et juste, Beata Umubyeyi Mairesse documente le voyage au bout de la nuit génocidaire qui fut le sien voici trente ans, au Rwanda.

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Par Olivier Mony
Créé le 10.01.2024 à 09h00

Si c'est une femme. Longtemps elle les a tenus à distance. Les jours de sa mort. De la mort des siens et de son peuple, au moins. Cette distance, c'était celle, nécessaire, juste, de la fiction. Là, Beata Umubyeyi Mairesse n'était plus une rescapée de l'ultime génocide du XXe siècle, n'était plus assignée à quelque résidence que ce soit. Là, elle était romancière. Tout aurait pu continuer longtemps ainsi, à l'ombre consolante de la littérature, si le réel en habit de film documentaire ne l'avait ramenée à lui. Le roman s'est éloigné, la littérature est demeurée, ô combien.

Incipit : « J'ai eu la vie sauve. Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide contre les Tutsis, j'ai pu fuir mon pays grâce à un convoi de l'organisation humanitaire suisse Terre des hommes. J'avais alors 15 ans. L'opération de sauvetage était officiellement réservée à des enfants de moins de 12 ans, mais ma mère et moi avons pu en faire partie, cachées au fond d'un camion. Dans les semaines qui ont suivi, des gens nous ont dit nous avoir vues à la télévision au moment de la traversée de la frontière entre le Rwanda et le Burundi. » En effet, une équipe de tournage de la BBC accompagnait ce convoi qui exfiltrait ces enfants, la jeune Beata et sa mère loin de ce théâtre des horreurs qui faisait rage depuis quelques semaines dans leur pays natal. Cet indicible massacre, crime contre l'humanité et toute raison, fit en un peu plus de trois mois près d'un million de victimes, pour la plupart tutsies. Ce n'est que treize ans après les faits que Beata Umubyeyi Mairesse entreprend de rentrer en contact avec les témoins et passagers de son convoi et en premier lieu avec les journalistes qui l'accompagnèrent. Son ambition n'est pas alors nécessairement d'en faire un livre, juste d'éclaircir, de figer à jamais ce que le travail de la mémoire peut dissiper, étioler. Peu à peu tout de même, l'écriture va faire son chemin, insidieuse et bientôt impérieuse et avec elle la question centrale de tout livre prétendant à rendre compte de l'expérience du massacre : comment ? Comment faire ? Beata Umubyeyi Mairesse répond à cette question avec une impressionnante justesse en l'intégrant au cœur même de son récit. Celui-ci se déploie donc en un double registre : la narration des jours d'horreur, de la peur, de la traque, de la dépossession de soi comme prélude à la mort, le tout d'une écriture blanche, précise, car aucun effet en la matière ne pourrait être autre chose qu'obscène. E→t la narration de cette enquête dont elle ne nous laisse rien ignorer des avancées, tout en consignant aussi ses doutes, son découragement parfois. C'est ainsi que Le convoi est un grand livre, presque intimidant par son autorité souveraine, par ce qu'il dit tout autant que par la manière dont il le dit. Dans le registre de la littérature née du génocide (et non du témoignage, car c'est bien plus que cela), on ne peut que songer au Primo Levi de Si c'est un homme, souvent cité par l'autrice, ou au Portail de François Bizot. Là où chaque mot est pesé au trébuchet, où la sobriété s'impose lorsque le réel est trop énorme pour être appréhendé autrement. Là au plus près de la vérité d'une écrivaine.

Beata Umubyeyi Mairesse
Le convoi
Flammarion
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782080432230

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