Phénomène

BD blockbuster et jeu vidéo narratif : la double odyssée de Mathieu Bablet

Mathieu Bablet - Photo Chloé Vollmer Lo pour Rue de Sèvres

BD blockbuster et jeu vidéo narratif : la double odyssée de Mathieu Bablet

La figure de proue du Label 619 publie le 15 octobre sa nouvelle BD Silent Jenny, après cinq ans d’attente. Une épopée de SF qu’il a imaginée en parallèle d’un jeu vidéo d’escalade. Portrait d’un auteur en renouvellement permanent.

Par Jérôme Lachasse
Créé le 13.10.2025 à 17h30

Après les cartons de Shangri La (110 000 exemplaires vendus) et de Carbone et Silicium (119 000 exemplaires), Mathieu Bablet revient le 15 octobre avec Silent Jenny. Délaissant son pessimisme habituel, la figure de proue du Label 619 s'inscrit dans un esprit davantage « solar punk », une SF porteuse d'une vision joyeuse du futur, pour lutter contre le catastrophisme ambiant. Et livre un de ses récits les plus aboutis, tant d'un point de vue narratif que graphique, avec des fulgurances comiques étonnantes.

Lire aussi : Mathieu Bablet, Silent Jenny (Rue de Sèvres)

Attendu depuis cinq ans, ce nouvel opus déboule en librairie comme un blockbuster, avec une mise en place de 150 000 exemplaires. « C'est une chose à laquelle je ne suis pas du tout habitué, confesse le dessinateur de 38 ans. Shangri La avait été imprimé au début entre 8 000 et 10 000 exemplaires. Ankama s'était calé sur mes précédentes productions et n'avait pas du tout anticipé ce succès. Sur Carbone, malgré le succès de Shangri La, ils avaient imprimé à seulement 40 000 exemplaires. Ce qui est énorme mais pas dans les proportions dont Rue de Sèvres s'est emparé du projet Silent Jenny. Gros tirage, grosse communication, grosse présence dans les médias… c'est gargantuesque ! »

Nouveaux univers

Un tel barouf ajoute forcément un peu de pression après « trois ans passés en sous-marin » à ne penser qu’au dessin, concède Mathieu Bablet : « Qui dit gros tirage, dit temporalité resserrée par rapport à l'impression et la communication. J'ai dû terminer l'album mi-mai dernier pour qu'il parte en impression début juin et qu'il soit prêt en octobre. » Une pression d'autant plus forte que l’album sort dans « une année très moribonde » pour les ventes de livres et les librairies. Et pile entre deux autres blockbusters annoncés, le Picsou de Jul et Keramidas chez Glénat (tirage de 100 000 exemplaires) et Astérix de Fabcaro et Didier Conrad aux éditions Albert René (2 millions d'exemplaires en France).

Pages intérieures de Silent Jenny
Pages intérieures de Silent Jenny- Photo MATHIEU BABLET / RUE DE SÈVRES / LABEL 619

Mais l’atout de Mathieu Bablet est toujours de réussir à prolonger l’univers de ses récits au-delà du monde de la BD. Comme pour Carbone et Silicium, l’expérience de lecture de Silent Jenny se poursuit dans une bande originale composée par Toxic Avenger (éditée à 3 000 exemplaires). Après avoir conçu le design de la librairie Tsundoku à Marseille, le dessinateur diversifie de plus en plus ses activités. Il a ainsi écrit Cairn, jeu vidéo d'escalade et de survie attendu pour début 2026 sur PS5 et Windows.

« Des ponts évidents »

Si l'univers de Cairn est « beaucoup plus lumineux » que celui de Silent Jenny, Mathieu Bablet y voit « des ponts évidents » avec deux personnages animés par une obsession similaire, celle d'une « quête sans fin du monde d'avant ». Cette « opportunité de taré » lui a permis de souffler en pleine production de sa BD. Et d'acquérir de nouvelles compétences. « Il y a plein de choses que je ne savais pas faire. En termes de narration, c'est très différent de la BD. En jeu vidéo, la narration passe à 40 % par le scénario puis surtout par le game design, le gameplay, et la narration environnementale. » Pour cette raison, Cairn ne devrait pas être adapté en BD pour rester une expérience pleinement vidéoludique. 

Comme l'animation, le milieu du jeu vidéo est devenu un Eldorado pour les bédéastes en herbe ou confirmés. « C'est un modèle stable, économiquement plus intéressant et qui en plus est extrêmement gratifiant car tu travailles avec des équipes et le jeu avance même quand tu ne travailles pas dessus, résume Mathieu Bablet. Il y a un sentiment de progression plus important qu'en BD. »

Récits positifs

Cette dimension collective du jeu vidéo évoque le fonctionnement du Label 619, où chaque membre occupe une fonction d'éditeur. « On est en contact tous les jours pour communiquer sur nos projets et les projets des autres, pour s'envoyer des interrogations sur un bout de scénario ou une case. C'est très naturel, très organique. » Sur Silent Jenny, Guillaume Singelin (Frontier) et Neyef (Hoka Hey) lui ont été d'une aide précieuse. « Guillaume a remarqué qu'il y avait un sentiment d'inachevé à la fin, révèle Mathieu Bablet. J'ai rajouté quatre pages au dernier moment. »

La suite se jouera aussi en collectif : le deuxième tome de Shin Zero, toujours avec Guillaume Singelin, paraîtra au printemps 2026. Mathieu Bablet a déjà le sujet de ses deux prochaines BD en tête. Des récits positifs : « C'est d'une grande nécessité. Avec Silent Jenny, ce n'est pas qu'un cycle de SF qui se termine. Mais un état d'esprit qui demande à évoluer. » Il prépare également son premier livre pour enfants. Son plus grand défi à ce jour : « C'est une galère ! Le but est que l'on continue à reconnaître mon trait et de le simplifier. »

Les dernières
actualités