Le silence des abeilles. Avec Shangri-La et Carbone & Silicium (Ankama, 2016, 2020), qui avaient suivi d'autres livres prometteurs (Adrastée, Midnight Tales...), Mathieu Bablet s'est imposé comme le nouveau talent incontournable de la bande dessinée de science-fiction, mettant d'accord les aficionados comme les lecteurs occasionnels. Son ambition formelle comme narrative, interrogeant des thématiques sociétales profondes dans des mises en scène spectaculaires, a ainsi magnifiquement redynamisé le genre. Voilà pourquoi son nouvel opus en solo était attendu avec impatience - par son éditeur, Rue de Sèvres, qui a lancé un très gros premier tirage, comme par les libraires qui se mettraient bien un best-seller sous la dent en cette année difficile - et exigence par la critique et les fans, espérant être de nouveau ébouriffés. Que ces derniers se rassurent : la mission est accomplie.
Silent Jenny se déroule dans un futur en ruine où rien ne pousse, et où une compagnie géante exploite des villes qui tiennent encore debout par la grâce de technologies avancées et d'une administration kafkaïenne. Dehors, des « monades », véhicules-cités utopiques, voguent dans un voyage sans fin et sans règles, si ce n'est celle de ne jamais s'arrêter. Dans l'une d'elles vit Jenny, aventurière taiseuse qui accomplit des missions d'exploration au service, pense-t-elle, de l'humanité : retrouver des traces d'abeilles, ces pollinisateurs indispensables à la vie sur Terre qui semblent avoir disparu à tout jamais...
Alors que Carbone & Silicium poussait loin ses interrogations philosophiques autour de son concept (évolution des humains et des IA dans un monde effondré), Silent Jenny s'attarde davantage sur le portrait de cette jeune femme obsédée par la mort, qui se perd dans une quête vertigineuse et autodestructrice. Au sein de planches d'une effroyable beauté, convoquant autant Otomo que Miyazaki, Mœbius ou Singelin (son complice sur Shin Zero), Mathieu Bablet conserve un équilibre parfait entre son univers original, son besoin de comprendre les individus et l'exploration de ses thématiques préférées (la mort avec ses rituels et ses suites, les sociétés autogérées...). Il pose là une nouvelle pierre tout en sensibilité, dans une œuvre déjà magistrale.
Silent Jenny
Rue de Sèvres
Tirage: 150 000 ex.
Prix: 31,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782810208005