Après 18 années passées dans le métier, Dana Burlac crée sa propre maison, Les Léonides, au sein des Nouveaux Éditeurs. L'éditrice globe-trotteuse passée par Flammarion, Denoël et les Éditions de l'Observatoire espère ainsi continuer à défendre « une ligne éditoriale tissée de romanesque, d'évasion, et de compréhension de l'autre ». Ajoutant : « Je ne pense pas en termes de texte littéraire ou grand public. J'aime Emmanuel Carrère, Zola et Stephen King. Les lignes de maisons telles que Gallmeister, L'Olivier, Philippe Rey, Les Éditions du sous-sol ou le Tripode. »
Des goûts qui traduisent un fort ancrage étranger qu'elle explique par son parcours. Née en Israël d'un père uruguayen et d'une mère française, Dana Burlac a grandi en « changeant de pays tous les quatre ans : Israël, États-Unis pour l'enfance, adolescence au Brésil et études en Australie et en Californie. » Après une prépa à Paris « que j'ai cubée, mon moment un peu plus "dans les clous", j'ai fait un mémoire sur le bruit dans Howl d'Allen Ginsberg à San Francisco. Et un second à propos des effets de la mescaline sur son écriture. » Parallèlement à ses études, elle est pigiste au Nouveau Détective pendant trois ans, assumant aujourd'hui y avoir « énormément appris ».
Elle parle ainsi cinq langues : portugais, espagnol, français, anglais et un peu d'italien. Auxquelles il faudrait ajouter l'hébreu qu'elle « déchiffre plus qu'autre chose ». Son périple, si l'on peut dire, est loin d'être classique dans le milieu de l'édition. « C'est peut-être ce qui fait ma force. Changer de pays, de culture est un moyen de découvrir des langues, des écritures, des musicalités différentes. »
Après des débuts comme interprète, elle « trouve sa voie » en stage chez Flammarion au domaine étranger. Fin d'un voyage, début d'un autre : « J'ai compris que c'était exactement ça que je voulais faire. Être une passeuse, transmettre de bons livres. » Assistante édito puis éditrice, elle y rencontre Art Spiegelman, et noue une amitié inoubliable avec Jim Harrison, qui lui écrit un poème : « C'était magique. » Auprès de Patrice Hoffmann, grand éditeur de littérature étrangère, elle apprend comment se définit l'identité, la ligne d'une maison, mais aussi la commercialisation, et les coulisses du métier...
« Avoir un instinct très fort et s'y fier »
Dana Burlac entre alors chez Denoël, une plus petite maison dans laquelle elle se vit comme une « femme orchestre qui s'occupait de tout, de l'achat des titres aux réseaux sociaux ».
Au côté de Béatrice Duval, elle apprend qu'être éditeur, « ce n'est pas inné. C'est une question de savoir-faire et aussi de réseau. Il faut écouter et en même temps avoir un instinct très fort et s'y fier. » Dans cette maison chargée d'histoires elle se souvient notamment de l'Espagnol Ivan Repila, de l'Américaine Roxane Gay et de la Japonaise Sayaka Murata et aussi d'avoir publié les recueils d'articles du Gorafi. Dont les cassandres avaient prédit que ça ne marcherait pas, puisque tout était disponible gratuitement en ligne.
Elle poursuit son chemin avec les Éditions de l'Observatoire. Directrice de la fiction, elle publie le comédien Jacques Weber, la romancière et éditrice Maud Simonnot, l'écrivaine américano-palestinienne Etaf Rum. Ou Claire Deya dont le roman Un monde à refaire a reçu le Grand Prix RTL-Lire 2024. Et s'occupe également de « La Relève », collection de philosophie dirigée par Adèle Van Reeth.
Nouvelle aventure
Une leçon d'autonomie : « Muriel Beyer, la patronne de l'Observatoire, fait une confiance totale à ses éditeurs et transmet avec générosité son expérience », se souvient-elle. « Flammarion six ans, Denoël six ans, L'Observatoire six ans. Et là c'est parti pour soixante ans », enchaîne la nouvelle éditrice dans un sourire pour décrire sa nouvelle aventure des Léonides. « Je voulais un nom qui soit féminin, pluriel, et qui ait un lien avec le champ lexical des étoiles, du désir et de l'universel. C'est le nom d'une pluie d'étoiles filantes qui passe tous les mois de novembre. » Mois des prix littéraires, note-t-on.
« J'ai rencontré Arnaud Nourry, et son fils Ugo alors que je n'avais jamais pensé monter ma maison d'édition », explique-t-elle, faisant l'éloge du duo. « Arnaud Nourry ne se contente pas d'attendre que ça arrive, il fait tout pour que ça marche et que ça marche mieux. Il est dans la transmission d'expérience éditoriale, il a quelque chose de très anglo-saxon dans sa manière d'accompagner les éditeurs, de les guider dans leur gestion. Je trouve chez LNE la liberté d'une maison indépendante et la solidité d'un grand groupe. »
« Même si ça fait bisounours, je découvre qu'il peut y avoir une vraie solidarité entre huit maisons qui n'ont rien à voir, mais qui échangent sur leurs marchés et leurs publications. Ce qui remet d'ailleurs la littérature blanche à sa place. » Elle insiste sur le fait que Les Nouveaux Éditeurs ont les reins solides, puisqu'Artémis, la holding personnelle de François Pinault, a récemment investi dans le groupe, qui bénéficie également d'un partenariat privilégié avec Simon & Schuster. Toute l'équipe va d'ailleurs bientôt s'envoler vers New York afin de rencontrer la maison américaine.
« L'alignement des planètes »
Aux Nouveaux Éditeurs, elle retrouve son ex-patronne de Denoël, Béatrice Duval - qui a ensuite dirigé le Livre de Poche - et vient de rejoindre le groupe comme conseillère du président. Autres proches : Manon Kauffmann, qui dirigeait le service de presse de l'Observatoire et Camille Tomasicchio, directrice commerciale et marketing, rejoignent le groupe. Lequel a opté pour l'équipe de Flammarion Diffusion - également celle de l'Observatoire jusqu'à récemment. « Ce sont les meilleurs notamment pour communiquer l'enthousiasme qu'on a pour un livre à des représentants, à des libraires et finalement à des lecteurs. »
Les Léonides visent une production annuelle de 30 titres à l'horizon 2030, grâce notamment à l'éditrice Flandrine Raab, avec laquelle elle a travaillé trois ans à l'Observatoire. « Une incroyable éditrice dont la venue était à mes yeux une condition sine qua non. » La maison compte se développer dans la fiction et la non-fiction à parts égales, avec une majorité de textes francophones. « Je défends des romans avec une histoire forte qui éclaire l'histoire des hommes, pas idéologues mais très romanesques », affirme-t-elle avant de nous le démontrer à travers les quatre livres de la rentrée 2025 (lire par ailleurs).
Parmi lesquels celui de Pauline Gonthier, autrice représentée par Catherine Nabokov, précise-t-elle, car, forte de son tropisme anglo-saxon, Dana Burlac se déclare résolument pro-agent, et tout aussi clairement défavorable à l'idée de mettre en place un comité de lecture. Confessant être « plutôt chasseuse que cueilleuse » avant de revenir au doux nom de Léonides et à « l'alignement de planètes » qu'il dénote. « Parfois au bout de quelques pages d'un manuscrit, je me dis : "il me le faut" et quand je l'obtiens, c'est la magie de ce métier. »