Le conte de Mont Perdu. Dans ce coin des Pyrénées, il y a ceux d'en haut et ceux d'en bas. La situation topographique reflète l'inverse de la position sociale. Mont Perdu - on l'a toujours appelée comme ça d'aussi loin qu'elle se souvienne - habite dans un village relégué dans les hauteurs : « Il y a trente-deux maisons dont neuf à l'abandon, aux murs pourris qui dégoulinent de mousse. On croise toujours les mêmes gueules. Avec les darons on voit quasi personne. » Si le père de la narratrice de Peau d'ourse de Grégory Le Floch est quand même sociable, sa mère se tait. Elle a peur, voire elle a honte d'elle, Mont Perdu, pense la narratrice recluse dans sa chambre avec du Björk dans les oreilles. « Maigrissime », « la daronne » est tout le contraire de sa fille. Massive comme une montagne - d'où le sobriquet -, Mont Perdu est également chamboulée, justifiant d'autant mieux l'épithète dans le surnom. Outre son obésité, qui lui vaut les avanies des gens du lycée, la voilà à présent plombée par son désir pour la belle Kelly. C'est la désorientation sexuelle, la dysphorie de genre, le sentiment d'aliénation totale !
On n'ignore pas, depuis Sa Majesté des mouches de William Golding, que l'enfance en littérature n'a guère à voir avec l'innocence espiègle. Avec les réseaux sociaux, les enfants terribles sont devenus des ados horribles. Notre héroïne lit ce que « kelly09 » a écrit sur Instagram : « Mont Perdu est GOUINE ! Matez ce qu'elle m'a envoyé cette nuit ! (capture d'écran de mes DM). » À la suite du post déferlent des tombereaux de haine : « Qu'elle ken avec des chèvres », « même pour me torcher le cul j'en veux pas. » Des insultes, on passe à l'incitation au viol et au meurtre.
Dans cette quatrième fiction de Grégory Le Floch, l'échappatoire au réel ne se trouve pas dans le cyberespace amplifiant la violence des humains, la voie est parmi « mes-sœurs-montagnes », au sein de la nature, véritable refuge pour la protagoniste. À travers une gouaille adolescente qui désamorce le pathos de ce récit de harcèlement, l'auteur de Gloria, gloria (Christian Bourgois éditeur, prix Sade 2023) invite au merveilleux du folklore pyrénéen : fête de l'ours, légende de la femme sauvage en couple avec un ursidé. Il exhorte à croire à la puissance du langage. Mont Perdu veut faire peau neuve. Son corps prend l'expression au pied de la lettre et mute. Mont Perdu se couvre de poils, entre les seins, dans le dos, sur les mains... Sortilège de l'écriture où la métaphore devient métamorphose.
Peau d'ourse
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782021585612