Avant-critique Roman

Laurent Mauvignier, "La maison vide" (Les Éditions de Minuit)

Laurent Mauvignier - Photo © Mathieu Zazzo

Laurent Mauvignier, "La maison vide" (Les Éditions de Minuit)

Rentrée littéraire

Laurent Mauvignier revient avec un roman familial où il fait revivre ses ancêtres, desquels son père hérita une maison longtemps inhabitée. Un tour de force.

Parution 28 août

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Par Sean Rose
Créé le 21.08.2025 à 14h00 ,
Mis à jour le 21.08.2025 à 17h19

La leçon de piano. Hantée, sous la menace, la maison est un trope bien connu de l'horreur. La maison, c'est également la métonymie de la famille, laquelle peut être habitée par des non-dits, muets fantômes tout aussi inquiétants. Le père de Laurent Mauvignier hérite d'une vieille demeure, longtemps restée inoccupée. En 1976, il rouvre cette maison de maître sise en Touraine. Restés intacts, une commode au plateau de marbre cassé, une « Légion d'honneur avec son bout de moire rouge puant le renfermé », des photographies amputées d'un visage découpé aux ciseaux, un piano, le piano, celui de Marie-Ernestine, l'arrière-grand-mère de l'auteur d'Histoires de la nuit (Minuit, 2020). Mauvignier a 9 ans. Le vide est partout. Vide entre les choses et néant de mots entre les êtres - ces silences assassins qui ont coulé dans les veines des protagonistes de la tragédie des siens, jusqu'au suicide de son père à l'âge de 46 ans.

Dans La maison vide, Laurent Mauvignier fait revivre ceux qui ont vécu entre ces murs. Remontant les sinuosités généalogiques de ce clan de paysans qui s'est enrichi à la fin du xixe siècle, il cherche les signes avant-coureurs de la catastrophe familiale. Tout commence avec cet instrument de musique, symbole de la réussite sociale de Firmin, le père de Marie-Ernestine, et passion de cette dernière, si singulière en ce milieu rural. L'héritière, la « petite Boule d'or » à son papa, a reçu une éducation comme ses frères aînés que Firmin considère comme indignes de lui succéder. Elle prend des cours de piano auprès d'un certain Florentin Cabanel, Parisien fraîchement installé à la campagne. La jeune fille étonne le professeur par un talent qui mériterait qu'elle tente le Conservatoire. Elle n'a pas de piano à la maison, son père lui fait la surprise de lui en offrir un. Cadeau, ceci dit, empoisonné, car doublé d'une funeste nouvelle : elle va se marier, annonce le patriarche, avec Jules, qu'il a nommé pour diriger sa scierie. Quoi, ce « jeune homme trop gros », jamais de la vie, regimbe Marie-Ernestine ! Avec des trésors de détails matériels comme de délicatesses psychologiques, Mauvignier incarne ses personnages de manière vertigineuse. On imagine bien le bovarysme de Marie-Ernestine, également l'abîme de son désespoir. Elle se taillade avec des ciseaux... Mais on ne désobéit pas à son père. Marie-Ernestine épouse Jules dont elle aura une unique fille Marguerite, grand-mère de Laurent Mauvignier. Jules tombera pour la France en héros de Verdun, Marguerite sera le déshonneur de la famille en se compromettant avec un « Boche » pendant l'Occupation. Son fils a 7 ans alors qu'elle est tondue sous les crachats de la foule... Le suicide est-il atavique ? Les sentiments de honte, d'abandon, de haine de soi se transmettent-ils ? La maison vide est le grand œuvre de Laurent Mauvignier, qui porte tous les thèmes de l'écrivain : la violence des passions, de la guerre - la Première Guerre mondiale, la Deuxième, la guerre d'Algérie -, qui aura défait chaque génération d'hommes jusqu'à son père. Et l'irrémissible mystère des êtres : « Les gens, tu sais, même les plus proches... les proches aussi... tous les gens sont des étrangers », confie à Marguerite sa grand-mère avant de mourir.

Laurent Mauvignier
La maison vide
Minuit
Tirage: 45 000 ex.
Prix: 25 € ; 752 p.
ISBN: 9782707356741

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