Reine en exil. Où il serait question de traverser le miroir. C'est ce que vient de faire Élise Lépine, fine plume de la critique actuelle, avec la publication des Courants d'arrachement, son premier roman. C'est aussi ce que menace de faire son héroïne, Reine. Casablanca, 1955. Dans un pays en proie à la fièvre de la décolonisation, les tourments de Reine sont d'abord intérieurs. Le cœur à marée basse. Le corps aussi, puisque la voilà allongée sur le trop bien nommé « rocher des condamnés », partagée entre la libération d'une mort volontaire lorsque les flots la recouvriront ou le courage d'une poursuite des affaires courantes, sans plus guère d'espoir ou de ferveur. C'est-à-dire sans Jean, surtout. Cet homme qui quelques années auparavant, en ce même lieu, la rejoignait pour connaître avec elle, loin des regards, la joie des amants. Cet homme dont elle vient d'apprendre la mort. Alors, plus que jamais envahie par les ombres de l'Histoire et les souvenirs - sa naissance parmi les humbles, la Shoah, l'installation tardive dans le protectorat, un mariage sans amour -, Reine est comme en exil d'elle-même.
Il faut savoir gré à Élise Lépine d'avoir ainsi en matière d'entrée dans la carrière sacrifié aux joies périlleuses du vrai romanesque. Rien ne manque en ces pages, ni le souffle glacé de l'Histoire ni les sentiments, ni la raison enfuie, ni même la musique. Rien ne manque et surtout pas le style. Ce portrait d'une femme penchée sur ses précipices n'est pas sans rappeler le si beau Une façon d'aimer de Dominique Barbéris. Même grâce, même sollicitude pour son personnage.
Les courants d'arrachement
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 220 p
ISBN: 9782246842248
