Viet Thanh Nguyen, exil en la demeure

Viet Thanh Nguyen - Photo © BeBe Jacobs

Viet Thanh Nguyen, exil en la demeure

L'auteur vietnamo-américain Viet Thanh Nguyen, lauréat du prix Pulitzer en 2016 pour Le sympathisant, est de retour avec son livre le plus personnel, L'homme aux deux visages. Il se confie sur l'aliénation des Asiatiques en Amérique.

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Par Sean Rose
Créé le 08.09.2025 à 12h00

Longtemps l'Amérique représentait aux yeux de ceux qui y émigraient une terre d'asile et d'opportunités. Avec la chute de Saigon en 1975, quand le Vietnam du Nord communiste fit tomber le régime du Sud allié des Américains, il y eut un afflux massif de Vietnamiens vers les États-Unis. Les parents de Viet Thanh Nguyen comptent parmi ces 130 000 exilés. « De confession catholique, ils craignaient d'autant plus la répression du régime de Hanoï », explique l'auteur du Sympathisant (Belfond, 2017). À la partition du pays en 1954, ils avaient déjà dû quitter leur village natal du Nord sous contrôle communiste. « Mes souvenirs les plus anciens remontent à l'âge de quatre ans, dans ce camp de réfugiés à Harrisburg en Pennsylvanie », raconte l'écrivain vietnamo-américain, né en 1971 au Sud-Vietnam. Pour Ba Má, « papa maman » en vietnamien - Viet ne les a jamais appelés autrement -, la suite aura été une success-story. Quoique parlant à peine l'anglais, ils réussissent à monter une affaire florissante, SàiGón Mói (« Saigon nouvelle »), « grand magasin miniature débordant de rouleaux de soie, de livres en vietnamien en plus d'aliments indochinois et de junk food américaine », selon la presse locale que cite l'auteur. Partis de zéro, désormais commerçants prospères, avec un fils si bien intégré qu'il est professeur de littérature à l'université de Californie du Sud. « Contrairement au cliché des parents asiatiques, ils ont très bien accepté que je fasse lettres plutôt que droit, médecine ou études d'ingénieur. Je ne leur avais quand même pas avoué que je voulais être écrivain... » Et quel écrivain ! Il obtient en 2016 le prestigieux prix Pulitzer grâce à son premier roman susmentionné, Le sympathisant. Dans le jeu des sept familles immigrées chez l'oncle Sam, l'asiatique fait bonne figure. Ces Asiatiques occidentalisés se font traiter de bananas, « bananes », à l'image du fruit jaune dehors et blanc dedans. Au « supermarché américain de l'assimilation », ils décrochent l'or et ont l'air de chanter l'hymne de l'« Amérique TM » (sic), ainsi l'orthographie Viet dans L'homme aux deux visages, le plus personnel de ses livres, entre mémoires et tombeau à sa mère. Le revers de la médaille, c'est une discrimination, fût-elle sourde, bien réelle : « L'aliénation est à la base d'un système fondé sur l'exploitation des minorités, les Asio-Américains n'échappent pas à la règle. » Un racisme latent attend la moindre occasion pour s'embraser, on l'a vu lors de la pandémie de Covid : Donald Trump ne cessait de parler de « virus chinois », les personnes au phénotype est-asiatique se sont vues attaquées physiquement...

Devenu père à son tour, Viet Thanh Nguyen se souvient d'avoir été un temps séparé de ses parents à leur arrivée en Amérique, il se rappelle cette terreur qu'il n'ose projeter sur ses propres enfants. Séparer les familles avait été la politique sous la première présidence Trump. Avec le retour du milliardaire à la Maison-Blanche, les étrangers illégaux peuvent être déportés vers un pays tiers. « Des huit expulsés au Soudan du Sud, en juillet, il y avait un Vietnamien. » Amère précision du Vietnamo-Américain qui, cette année, démissionne de son poste à l'université pour se dédier à l'écriture- écrire sur des vies qui peinent à rentrer dans les cases, et, quoique s'étant fixées, seront à jamais d'exil.

Viet Thanh Nguyen
L'homme aux deux visages
Belfond
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Clément Baude
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 21 € ; 320 p.
ISBN: 9782714403650

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