Le jeune Thomas Dietrich, 25 ans, a fait ses débuts remarqués en littérature en 2014, avec Là où la terre est rouge, un roman puissant qui se situait en Afrique, où l’auteur a lui-même vécu et travaillé. Il revient avec un deuxième roman tout aussi puissant, mais plus dramatique, et tout aussi africain, puisque l’histoire se déroule entre N’Djamena, Le Caire, Paris, Le Caire et retour à N’Djamena pour son épilogue.
Tout se passe entre deux orages. Au cours du premier, meurt foudroyé le père de la jeune Sakineh, 16 ans, issue d’une famille musulmane aristocratique du nord du Tchad. Conformément à la tradition, le conseil des mâles de la famille était sur le point de la marier, sans son consentement bien sûr, avec un homme plus âgé, pieux, riche et répugnant. Aussi accueille-t-elle avec joie ce répit. Mais ses frères, dont le tyrannique Daoussa, vont vite la reprendre en main.
Emmanuel, de son côté, est un jeune chrétien du sud du pays. Mais il se fait appeler Zhou (comme Zhou Enlai, ancien Premier ministre de Mao), se proclame athée, révolutionnaire et se balade partout avec son Petit livre rouge. Ce qui lui vaut quelques problèmes avec sa famille et surtout avec les sbires du "Président-sultan" qui dirige le pays d’une poigne de fer.
Par hasard, ces deux-là vont se trouver au Caire. Elle y ayant accompagné sa sœur enceinte, lui pour fuir la police, après avoir échoué à passer en Europe via le Maroc. Ils finissent par se rencontrer près d’un cimetière, tombent amoureux. Et Sakineh offre sa virginité à Emmanuel, perdant ainsi son charaf, son honneur, et risquant sa vie si ses frères venaient à l’apprendre. Tandis qu’Emmanuel se fait berner par le malfaisant Haman - homo pervers, pseudo-opposant au régime alors qu’il travaille en fait dans les services secrets -, ce qui lui vaudra d’être enlevé et torturé par des barbouzes, Sakineh est menacée d’être vendue, prostituée par Daouassa à Ibrahim, un neveu du Président-sultan.
Les deux tourtereaux s’enfuient à Paris, puis à Orléans, où ils vont connaître la misère, le racisme, le lot quotidien des migrants. Ils décident de repartir pour Le Caire, alors que Sakineh est enceinte des œuvres d’Emmanuel. Là, ils trouvent un petit boulot sympa de projectionnistes dans un cinéma populaire, et un semblant de bonheur. Jusqu’à ce que leurs ennemis, qui n’ont pas renoncé, les ramènent de force à N’Djamena. Et c’est là, par une autre nuit d’orage, que cette version moderne et africaine de Roméo et Juliette connaîtra son dénouement, que l’on pressent tragique.
C’est original, très maîtrisé, plein d’humanité. Thomas Dietrich a un bel avenir d’écrivain devant lui. Jean-Claude Perrier