Hausse surprise des baptêmes d'adultes en France, fait religieux de plus en plus présent en entreprise, intérêt marqué des jeunes pour la spiritualité... Bien documentés, les signes d'un sursaut spirituel se ressentent sur le marché du livre religieux. Après avoir connu une forte croissance en 2023, celui-ci se stabilise en 2024 sur le nombre d'exemplaires vendus (+0,8 %), tandis que le chiffre d'affaires global des maisons consacrées aux religions est en léger recul (-1,3 %), selon les données GFK/Livres Hebdo.

Nouveau lectorat
Face à l'émergence d'un nouveau lectorat, nombre de maisons spécialisées dans le fait religieux se livrent à une gymnastique ainsi résumée par Loïc Mérian, directeur général du groupe Elidia (Le Rocher, Desclée de Brouwer, Artège, Nouvelle Cité...) : « Il nous faut proposer des ouvrages qui permettent aux personnes déjà ancrées dans leur foi de bien la vivre et la comprendre, mais aussi des ouvrages très accessibles pour des gens qui sont encore sur le seuil de la foi. »

Ce nouveau public entre en religion par plusieurs portes, que ce soit celle du baptême, ou celle de l'ésotérisme. Ainsi, en septembre 2025, Mame publie L'Église à l'aube d'une révolution ? Enquête sur ces jeunes qui veulent devenir chrétiens d'Antoine Pasquier, afin de « donner aux communautés les outils pour les accueillir en sachant qui ils sont », indique Sophie Cluzet, directrice éditoriale. Dans le même temps, la maison chrétienne mise sur Enquête sur les phénomènes mystiques extraordinaires, d'Yves Chiron.

L'éditeur de poche J'ai lu s'adresse également aux personnes en questionnement spirituel, avec « L'islam à livre ouvert », créée en mars 2023, et « Prendre soin de son âme », lancée en février 2025. « Ces collections à destination du grand public, dépourvues de tout prosélytisme ou dogmatisme, sont pensées pour renouer avec la culture et la spiritualité chrétienne ou islamique », souligne la directrice littéraire Dorothée Rothschild indiquant qu'une ligne sur le judaïsme pourrait voir le jour.

« Confessionnalisation » du marché
En librairie aussi ce dynamisme se ressent. « C'est une année tirée par le religieux », observe Thomas Jobbé-Duval, directeur général de La Procure. La librairie historique de la rue de Mézières, à Paris, enregistre par exemple en 2024 une hausse de son chiffre d'affaires général de 4 %, et de 11 % sur le religieux. Mobilisé par un certain nombre d'événements, comme la réouverture de Notre-Dame de Paris, mais aussi par des peurs grandissantes dans un contexte de crise, le public de livres religieux semble parfois durcir ses positions.

« Inquiète de l'avenir, une partie de la clientèle se radicalise identitairement et vient consommer du livre pour confirmer cette identité, tandis que d'autres viennent chercher des réponses et de l'espoir », remarque Thomas Jobbé-Duval. « J'ai l'impression qu'une partie de notre secteur devient communautariste et se place dans la défiance vis-à-vis des autres traditions, relève à titre personnel Jonathan Boulet, président du groupe religion du Syndicat National de l'Édition (SNE). Les jeunes, ne sont-ils pas en train de se radicaliser ? Je vois des achats d'ouvrages avec des valeurs très conservatrices, notamment sur la place des femmes. »

Chez Albin Michel, l'éditeur Julien Darmon observe un mouvement de fond vers une « confessionnalisation » du marché. « Le public qui s'intéressait à une culture religieuse pluraliste est bien moins large qu'il y a vingt-cinq ans, et les jeunes générations sont plus confessionnalisées », analyse-t-il.
Paroles d'imams et romance chrétienne
Face à cette nouvelle donne, plusieurs stratégies se déploient, notamment en direction de la jeunesse, dont il s'agit pour certaines maisons de nourrir et accompagner la foi. Chez Albouraq, la collection « Paroles d'imams », lancée en avril 2025 en collaboration avec la Grande Mosquée de Paris, s'adresse aux adolescents et aux jeunes adultes. « Cette jeunesse est en demande de repères, il faut leur donner des clés pour vivre de manière apaisée dans une société qu'on veut plurielle », souligne l'éditrice Fida Mansour qui annonce deux premiers titres dont Comment me comporter face à l'autre et à la différence ?
La déclinaison des contenus religieux à destination de la jeunesse s'illustre bien chez Mame, qui se lance dans la romance à partir de mai 2025 avec deux collections : « Cœur à cœur », de la romance ado sans référence religieuse explicite, et « Cœurs purs », de la romance chrétienne. « Il ne s'agit pas d'avoir une littérature moralo-casse-pieds, mais une littérature qui fait grandir. Ces textes font très attention à la question du consentement, de la liberté, et de la progressivité de l'affectivité », insiste Sophie Cluzel.

Supplément d'âme
Du côté des adultes, l'offre éditoriale se diversifie pour répondre à un public de plus en plus morcelé. « Nous élargissons la définition de la spiritualité à des choses qui ne touchent pas forcément au religieux mais qui vont donner un supplément d'âme ou une perspective spirituelle sur le monde », énumère Julien Darmon, chargé du département Spiritualité chez Albin Michel. Une ouverture dont témoigne par exemple Ma vie a-t-elle un sens : et autres questions philosophiques du quotidien, de Lev Fraenckel (30 avril 2025), qui s'est fait connaître sur TikTok (294 000 abonnés) avec des vidéos sur la philosophie. La littérature s'impose aussi comme un terrain à entretenir pour l'édition religieuse. Rachetée en décembre 2024 par les éditions juives Koren, la maison Yodéa sort en juin 2025 Une rencontre peu orthodoxe de Naomi Ragen, autrice star en Israël. Les éditions de l'Emmanuel travaillent pour leur part à améliorer la visibilité de la marque Quasar avec deux romans feel-good par an.

Une façon d'atteindre le grand public par la littérature donc, mais aussi par des essais. Lancée en 2024 pour le centenaire de la maison Labor et Fides, la collection « Qu'est-ce que ça change ? » s'étoffe le 2 avril avec La laïcité, de Vincent Genin, et Croire, de Marion Muller-Colard où, sous la forme d'une réponse à son fils qui l'interroge sur sa foi, l'autrice et éditrice propose une réflexion sur les croyances. « On s'adresse à un public non érudit, dans ce souci constant du protestantisme de permettre à chacun de penser par soi-même », indique-t-elle.
Interfaces entre politique et religieux
Reste que, pour le lectorat adulte, « il est difficile de sortir des thèmes moraux ou de la vie de prière afin d'aborder des questions sociales ou environnementales », considère Jonathan Boulet, directeur des éditions Bibli'O et de ThéoDiff. Des sujets cependant essentiels dans lesquels l'éditeur continue d'investir, comme l'illustre Défi et espérance pour le climat : plaidoyer réaliste et apaisé d'une climatologue, de Katharine Hayhoe (mars 2025, Bibli'O).

« Notre mission n'est pas de fournir un kit du croyant mais une intelligence de la foi », estime pour sa part Jean-François Colosimo, directeur général des éditions du Cerf. La maison vient ainsi de publier L'IA, ange ou démon ? Le nouveau monde de l'invisible, de Laurence Devillers (mars 2025), à la croisée de la théologie et des nouvelles technologies. Sur un autre sujet d'actualité, Alain Dieckhoff, professeur à Sciences Po, dirigera chez Albin Michel un atlas des radicalités religieuses, attendu pour octobre 2025. « Ce sera un tour du monde des interfaces entre politique et religieux : que se passe-t-il aux États-Unis avec les évangéliques, en Afrique avec les mouvements jihadistes, en Inde avec le parti nationaliste hindou... ? » s'inquiète Julien Darmon.
Pas question, donc, pour une partie de l'édition religieuse, de tourner le dos au politique. « On voit, à l'échelle géopolitique, la façon dont le religieux est instrumentalisé par le populisme dans son pire aspect », souligne à cet égard Marion Muller-Colard, considérant qu'il ne faut pas faire des religions « des zones franches où les questions se poseraient autrement », mais bien « ouvrir des espaces de rencontre à travers les livres ».