Après une vague de créations de maisons indépendantes dans les années 1980-1990, la question de la transmission de ces entreprises se pose aujourd'hui avec acuité dans l'Hexagone. Est-ce aussi le cas au Québec ?
Avec l'apparition d'une troisième génération de maisons dans les années 1960-1970, une nouvelle vague d'éditeurs a émergé au début des années 2000. Considérée comme la renaissance de la littérature québécoise, elle constitue le noyau dur de l'édition en termes de chiffre d'affaires et d'offre éditoriale. Parmi ces maisons, on peut citer Alto, La Pastèque ou La Peuplade. Contrairement à leurs prédécesseurs, cette nouvelle génération a souvent eu une première expérience professionnelle avant sa reconversion dans le monde du livre. La question de la transmission se pose donc déjà, oui.
À la lecture de votre contribution dans la revue Bibliodiversité, on se rend vite compte que la transmission des maisons québécoises est une gageure...
Le milieu du livre est très soutenu par les pouvoirs publics québécois. Rien qu'au niveau provincial, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) propose des programmes, dont l'aide au développement entrepreneurial, qui permet de prendre en charge jusqu'à 75 % des dépenses pour l'acheteur et le vendeur. Mais, de par sa situation économique, l'édition n'est pas un secteur qui attire. Il représente un risque financier phénoménal : nous sommes un petit marché dominé par les importations, notamment françaises. Par ailleurs, une maison d'édition constitue souvent le fonds de retraite de son fondateur ou sa fondatrice ; le système public de retraite n'étant pas du tout généreux ici. De nombreuses personnes préfèrent ainsi prendre le risque de créer leur propre structure plutôt que de reprendre une société existante. Mais, en contrepartie, il leur est plus difficile d'être agréé par le gouvernement et de pouvoir ensuite bénéficier des subventions publiques.
Et pour la librairie ?
Contrairement à l'édition, la librairie continue d'être attractive. Et elle reste un commerce. Malgré un investissement conséquent, il est plus simple et pas complètement hors de portée de reprendre un fonds de commerce. Pour la plupart d'entre elles, les librairies vivent de l'agrément du ministère de la Culture et des Communications. Cela leur permet d'accéder, là aussi, à un certain nombre d'aides et leur donne le droit de vendre aux institutions publiques locales. C'est souvent mieux de reprendre une librairie qui a déjà son agrément.
Dans Bibliodiversité, vous écrivez à propos de l'édition que « les groupes n'ont plus le monopole des stratégies de fusion des activités et de rachat favorisant les effets de concentration ». Observe-t-on de plus en plus de maisons indépendantes se racheter entre elles ?
Depuis les années 2010, des entreprises familiales reprennent en effet d'autres entreprises. C'est par exemple le cas d'Hurtubise qui a repris les éditions XYZ en 2009 ou Multimonde en 2015, ou de Somme toute qui a acheté les catalogues de Lévesque éditeur et Hamac. Ce phénomène est favorisé par le désintérêt des groupes.
La reprise en coopérative est un scénario possible de transmission pour la librairie. Ce modèle peut-il aussi être adapté pour l'édition ?
Le seul exemple d'entreprise ainsi cogéré auquel je pense est Écosociété. Mais c'est particulier parce que la maison est adossée à l'Institut pour une écosociété. Contrairement à la librairie, l'édition est une dictature. Elle est d'abord une question de vision qui dépasse rarement plus de deux personnes. Je trouve cela dommage car le Québec est l'un des pionniers en matière d'économie sociale : nous avons tellement de leviers qui permettraient d'aider à une reprise en coopérative avec un risque équivalent à zéro. C.L.