À la 78e édition du Festival de Cannes, les livres d’autrices adaptés en films sont nombreux : L’Art de la joie de Goliarda Sapienza (Le Tripode, 2016), La Petite Dernière de Fatima Daas (Noir sur blanc, 2020)... Mais aussi Love Me Tender de Constance Debré (Flammarion, 2020), lauréat du prix des Inrockuptibles 2020, porté à l’écran par la réalisatrice française Anna Cazenave Cambet.
« Dehors, c'est #MeToo et le mariage pour tous, mais c'est pour de faux, écrivait Constance Debré dans son quatrième roman, une autofiction sur la perte de la garde de son fils. En vrai, un juge m'oblige à être une mère sous bracelet électronique à la demande de celui qui est encore mon mari. » Le long métrage la transforme en Clémence Delcourt, une femme au parcours similaire incarnée par la comédienne Vicky Krieps : elle est autrice, a découvert son lesbianisme sur le tard, et a été séparée de son fils par son ex-mari jaloux et homophobe. S’enclenche une bataille juridique et un douloureux processus de reconstruction.
« J’avais lu le livre à sa sortie, quand je suis devenue mère. Il soulevait des questions qu’on n’ose pas souvent se poser en tant que parent. Ça a été une bouffée d’air, pour moi », explique Anna Cazenave Cambet. Approchée par la maison de production Novoprod deux ans plus tard, elle accepte d’adapter le roman, et rencontre Constance Debré. « J’ai écrit une lettre d’intention et elle a regardé mes films, indique la réalisatrice de De l’or pour les chiens. Je redoutais de m’emparer du travail d’une autrice encore vivante, qui partage des choses très intimes dans ses écrits, mais elle a eu l’extrême générosité d’entrer dans ma vie tout en restant très loin du film. »
« Ce n’est pas un biopic de Constance Debré »
Pour autant, il n’était pas question pour elle de reproduire Love Me Tender image par image. Afin de se démarquer, elle développe notamment une constellation de personnages secondaires autour de Clémence, qui partage sa vie entre son père, ses amis et ses conquêtes.
S’il est intrinsèquement politique pour son sujet brûlant, le film n’est pas un manifeste, n’a pas peur de ralentir, de jouer sur la sensorialité, à la fois pour retraduire le temps long de la justice et la cicatrisation de la plaie psychologique. C’est là qu'Anna Cazenave Cambet trouve « une zone de liberté et de fiction, une manière de fictionnaliser un récit littéraire qui l’est déjà. » Elle ajoute : « Ce n’est pas un biopic de Constance Debré. Je n’ai jamais cherché à la singer, ni à retraduire toutes les dimensions de son livre. J’ai construit le récit autour de la question de l’enfant et de l’arrachement. »
La maternité désertée
Pour appuyer ce propos, elle mobilise quelques extraits du texte de Constance Debré qui s’interroge sur l’identité de mère, dont elle se retrouve dépossédée, et finit par faire le deuil, phénomène tabou de désertion de la maternité. La réalisatrice commente : « L’archétype de la mère-courage constamment dans l’affect, c’était ma hantise, et encore une représentation omniprésente. Je voulais montrer ce que c’est, une femme qui lutte farouchement et en pleine maîtrise d’elle-même. »
Présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, Love Me Tender n’a pas encore de date de sortie française.